Environ 28 000 Ukrainiens ont disparu dans des circonstances particulières
Au 18 octobre 2023, environ 28000 citoyens ukrainiens avaient disparu dans des circonstances particulières.
Ces chiffres ont été rendus publics par le vice-ministre ukrainien de l’Intérieur, Leonid Timchenko, lors d’une réunion avec des représentants de la Commission internationale pour les personnes disparues (ICMP). Il a également déclaré qu’aujourd’hui, « des échantillons d’ADN doivent absolument être prélevés afin de comparer ces informations avec les demandes adressées aux institutions spécialisées par les familles des disparus ». Cependant, un problème se pose avec l’identification des corps qui ont été provisoirement enterrés, ou qui se trouvent dans des territoires temporairement occupés ou dans une zone de combat, a expliqué le fonctionnaire. « Les équipes de recherche ne peuvent pas venir récupérer les corps et les échanger avec ceux que nous avons. Malheureusement, il ne peut y avoir de coopération à part entière en termes d’échange avec un agresseur et terroriste », a noté Timchenko.
Timchenko a annoncé la création par le ministère d’un Bureau en charge des personnes disparues dans des circonstances particulières, qui remplit les fonctions de secrétariat du commissaire aux personnes disparues dans des circonstances particulières. Le vice-ministre a également rappelé que l’Ukraine disposait d’un registre unifié des personnes disparues.
Pour en savoir plus sur ce registre, voir l’article du Groupe de défense des droits humains de Kharkiv, disponible ici. Nous rappelons que les proches des personnes disparues n’ont rien à payer pour obtenir un extrait du registre unifié. Plus de détails à ce propos dans l’article.
Une étude analytique du Groupe de défense des droits humains de Kharkiv (GDHK) a confirmé que « la partie russe ne remplissait pas ses obligations internationales ». « Après une disparition, les proches des victimes n’ont aucune possibilité d’obtenir des informations, que ce soit auprès des autorités d’occupation locales ou des représentants du gouvernement de la fédération de Russie », a noté Anna Ovdienko, avocate du GDHK. Il est arrivé que la fédération de Russie confirme qu’une personne disparue se trouvait sous le contrôle des autorités russes plusieurs mois après sa disparition, parfois même jusqu’à un an plus tard. Cependant, ces confirmations pouvaient ne contenir aucune information sur le lieu exact où se trouvait la personne et/ou sur son état de santé. Dans ces conditions, les proches de ces disparus continuaient à être dans l’ignorance : d’abord ils ne savaient pas si la personne disparue était en vie, puis ils ne savaient pas dans quel état elle se trouvait, ni si elle avait subi des violences. « En réponse à nos demandes, les autorités gouvernementales russes ne nous ont pas donné de réponses précises et, dans la plupart des cas, n’ont pas répondu du tout », notait Anna Ovdienko. L’avocate a également fait remarquer que « de tels actes sont commis intentionnellement, puisque les réponses formelles de la fédération de Russie, qui ne contiennent pas de circonstances spécifiques des crimes, sont fournies par les mêmes personnes et de façon massive, dans tous les cas dont nous avons connaissance ». De plus, ces réponses ne sont pas conformes aux normes du droit international et national, a souligné Ovdienko.
Au cours de cette réunion, la constitution d’une base de données ADN a également été discutée. Les représentants de l’ICMP ont rappelé que l’expérience internationale montre que pour 30000 personnes disparues, il faut constituer une base de données de 90000 échantillons d’ADN. Ainsi, au moins trois parents de la personne disparue doivent fournir des échantillons génétiques. Comme l’a déclaré précédemment l’ICMP, la commission internationale est prête à aider l’Ukraine à enquêter correctement sur chacun de ces cas, car elle dispose de suffisamment de ressources pour cela. Par exemple, un laboratoire d’ADN de haute précision permet d’établir l’identité d’une personne décédée dans des conditions très difficiles, même lorsqu’il s’agit d’échantillons osseux dégradés.
Il a également été fait mention d’un projet pilote lancé en février 2023 par le ministère de l’Intérieur en collaboration avec l’ICMP et visant à collecter des échantillons d’ADN auprès d’Ukrainiens à l’étranger. En août 2022, Kathryne Bomberger, directrice générale de l’ICMP, a déclaré que la Commission internationale pourrait collecter les échantillons nécessaires à la fois en Ukraine et dans les pays qui ont accueilli les réfugiés temporaires ayant quitté l’Ukraine en raison de l’agression russe. Actuellement, des échantillons d’ADN peuvent être prélevés sur des Ukrainiens se trouvant en Pologne et aux Pays-Bas, et à l’avenir, la même possibilité devrait être proposée aux Ukrainiens se trouvant en Allemagne.
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Protocole de coopération
Le 18 octobre, la Commission internationale pour les personnes disparues a signé des protocoles de coopération avec le ministère de la Justice et le ministère de la Santé.
La coopération entre l’ICMP et le ministère de la Justice permettra de développer la coopération dans le domaine de la génétique médico-légale et de l’expertise médico-légale, de renforcer les capacités en matière d’identification par l’ADN et d’utiliser des technologies médico-légales modernes pour enquêter efficacement sur les cas de disparitions de personnes. Quant au protocole d’accord signé avec le ministère ukrainien de la Santé, il renforcera la coopération dans le domaine de la médecine légale et de l’expertise médico-légale. Il permettra notamment d’élaborer des normes pour les procédures d’examen médico-légal, basées sur les normes internationales. Comme l’a noté le service de presse de l’ICMP, « la coopération dans le domaine de la médecine légale et le développement de cette branche contribueront au traitement rapide d’un grand nombre de cas et à la garantie d’un traitement digne des corps des personnes décédées ».
Selon Kathryne Bomberger, « aucun pays en guerre n’a la capacité de relever de manière indépendante et adéquate l’énorme défi que représente la recherche des personnes disparues et d’enquêter sur leurs disparitions de manière à ce que les preuves de ces infractions soient mises à la disposition du Tribunal international ». Ainsi, le soutien de l’ICMP va offrir de plus grandes possibilités pour répondre à ces exigences. Matthew Holliday, directeur des programmes européens de la Commission internationale pour les personnes disparues et responsable du programme de l’ICMP en Ukraine, a quant à lui déclaré que l’ICMP s’engageait à renforcer les capacités techniques de l’Ukraine, afin qu’elle puisse enquêter correctement sur ces dizaines de milliers de cas.
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Contexte général
Comme l’a souligné Matthew Holliday, même après la cessation des hostilités actives, l’Ukraine continuera à enquêter sur les cas de disparition pendant des années.
En septembre 2023, le Groupe de défense des droits humains de Kharkiv écrivait qu’à cette date, les forces de l’ordre n’avaient pas réussi à identifier 57 des corps découverts dans une fosse commune à proximité d’Izioum.
Le porte-parole du bureau du procureur régional de Kharkiv, Dmytro Tchoubenko déclarait alors que plus de 20 de ces corps présentaient des blessures, notamment des fractures sur diverses parties du corps, et que 15 corps présentaient des signes de torture : « Lors de l’examen des corps exhumés, les experts ont constaté que 15 victimes présentaient des blessures par balle, 87 des blessures par explosifs, au moins 15 présentaient des signes de torture (certains corps ont notamment été trouvés les mains liées, ou une corde autour du cou), et 23 présentaient des fractures de la mâchoire, des os de la tête, des bras, ou des côtes ».
Entre le début de l’invasion à grande échelle et le 23 mai de cette année, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a documenté 864 cas de détention arbitraire de civils commis par des représentants de la fédération de Russie. Parmi les détenus, 763 étaient des hommes, 94 des femmes et 7 des jeunes garçons, a rapporté l’ONU, notant que de nombreux cas documentés de détention arbitraire pouvaient également être qualifiés de disparitions forcées. Yevhen Zakharov, directeur du Groupe de défense des droits humains de Kharkiv, a également noté que la plupart des 4200 disparitions documentées par l’initiative « Tribunal for Putin » (T4P) pouvaient être provisoirement qualifiées de disparitions forcées, car toutes les tentatives des proches pour retrouver les disparus se heurtaient soit à un refus de réponse, soit à l’affirmation que le lieu où se trouve la personne disparue est inconnu. « La Croix-Rouge internationale peut au mieux répondre que la personne se trouve en Russie, mais sans préciser où exactement », explique le directeur du GDHK, avant d’ajouter que la détention illégale sans décision de justice et la disparition forcée avec dissimulation du lieu de détention constituent des violations flagrantes des droits humains et peuvent être provisoirement qualifiées de crimes contre l’humanité.