« Nous resterons en Ukraine jusqu’à la fin », dit un volontaire canadien à Kharkiv

L’organisation de Paul Hughes a effectué plus de 300 missions en Ukraine. Au cours de l’une d’elles, le Canadien a été interrogé pendant huit heures par les Russes.
Denys Volokha23 Juin 2024UA DE EN ES FR IT RU

« C’était le moment le plus effrayant de ma vie. J’étais persuadé que j’allais mourir » : c’est comme ça que Paul Hughes, un Canadien de 59 ans décrit l’épisode le plus dramatique qu’il ait vécu en deux ans de volontariat en Ukraine.

En juillet 2022, alors qu’il se trouvait dans les environs de Borodyanka, il a reçu une demande d’évacuation d’une fillette de 6 ans « de la région de Zaporijjia ». Impossible de refuser. Cependant, une fois arrivé à Zaporijjia, il s’est avéré qu’elle se trouvait dans une partie de la région de Zaporijjia occupée par les Russes. L’ancien militaire a décidé de prendre le risque, ce qu’il a vite regretté.

À l’un des checkpoints, il a été arrêté par les Russes, qui ont trouvé une personne parlant anglais. Paul a alors compris qu’ils voulaient l’emmener quelque part avec la voiture. « Je ne considère jamais rien comme un jeu, mais là, ce jeu était terminé pour moi », raconte le Canadien.

59-річний канадець керує волонтерською організацією з гаража в Харкові, де ремонтують авто для військових. © Денис Волоха / Харківська правозахисна група The 59-year-old Canadian runs a volunteer organization from a garage in Kharkiv, where they repair cars for the military. © Denys Volokha / Kharkiv Human Rights Protection Group 59-летний канадец руководит волонтерской организацией из гаража в Харькове, где ремонтируют автомобили для военных. © Денис Волоха / Харьковская правозащитная группа

Ce Canadien de 59 ans dirige son organisation depuis un garage à Kharkiv, où il répare des voitures pour les militaires. © Denys Volokha / Groupe de défense des droits humains de Kharkiv.

Il a été emmené à Vassylivka, où les occupants disposaient alors d’une base. Là, un long interrogatoire a commencé. Considéré comme un espion occidental, Paul a tenté de prouver qu’il n’était qu’un simple volontaire.

Et lorsque le commandant est entré dans la pièce, le Canadien s’est dit que celui-ci allait devenir devenir son bourreau. Mais il a pu établir une communication avec lui grâce au hockey.

— Si vous venez du Canada, — a demandé le Russe — vous aimez donc le hockey ?

— Oui, bien sûr, j’adore le hockey, en tant que Canadien !

— Qui est votre joueur préféré ?

— Ovetchkine, — a répondu Paul, en se souvenant que c’était le joueur préféré de Poutine.

— Ovetchkine ? Mais Ovetchkine, c’est de la merde ! — s’est soudainement emporté le commandant russe.

— Tretiak ? — Après réflexion, Paul a nommé un autre joueur russe (soviétique) connu.

— Oh, Tretiak, c’est très bien ! — a dit le Russe, dont le ton s’est réchauffé immédiatement.

Sous son air râblé, Paul dit avoir perçu une certaine compréhension de la part du capitaine lorsqu’ils sont sortis fumer après 8 heures d’interrogatoire : « J’ai senti que sous son uniforme et tout le reste, il pouvait vraiment y avoir un homme bon ». Paul a fini par demander ce qu’il adviendrait de lui et de ses biens, et le commandant lui a répondu qu’on lui rendrait tout et qu’ils le laisseraient partir.

© Денис Волоха / Харківська правозахисна група © Denys Volokha / Kharkiv Human Rights Group © Денис Волоха / Харьковская правозащитная группа

© Denys Volokha / Groupe de défense des droits humains de Kharkiv

Paul Hughes a eu beaucoup de chance ce jour-là : il est même retourné au quartier général pour demander une attestation. Il ne voulait pas que cette histoire se répète au prochain checkpoint. Même si on ne peut qu’imaginer à quelle vitesse son grand cœur battait ce jour-là.

Après s’être connecté au Wi-Fi grâce à l’aide d’un habitant, il a compris qu’il n’était plus qu’à 1,5 km de l’endroit où il était censé récupérer la petite fille et les autres personnes. Il s’est rendu directement à l’endroit indiqué sur Google Map et y a trouvé un vieux garage et une station-service bombardée.

« J’ai crié : ‘Salut ! Il y a quelqu’un ?’ Quelqu’un est sorti pour voir ce qui se passait, et c’était cette petite fille. Elle m’a vu, a vu ma voiture avec le drapeau canadien, et elle a couru vers moi et s’est jetée dans mes bras. Elle tremblait de tout son corps ».

Paul venait de faire monter la petite fille et quatre autres personnes dans sa voiture, quand soudain, une attaque au mortier a commencé. Sans hésiter, le Canadien a foncé pour quitter le territoire occupé et a finalement réussi à conduire l’enfant jusqu’à la frontière ukraino-polonaise, où sa mère est venue la chercher.

“Вона, здається, насолоджувалася, доки я їхав чимшвидше. Вона була просто найхоробрішою маленькою дівчинкою”, — коментує евакуацію Пол. “She seemed to enjoy herself while I drove as fast as possible. She was the bravest little girl,” — Paul comments on the evacuation. “Казалось, она наслаждалась, пока я ехал как можно быстрее. Она была самой храброй маленькой девочкой”, — комментирует эвакуацию Пол.

« Ça semblait l’amuser que je conduise si vite. C’était la plus courageuse des petites filles », commente Paul à propos de l’évacuation.

Il s’agit de l’une des 300 missions de l’organisation HUGS, fondée par Paul Hughes et son fils Mac.

Plus de 300 voitures réparées

Nous discutons avec Paul dans leur garage de Kharkiv, où des volontaires du monde entier réparent des véhicules militaires et les voitures des volontaires. Paul montre un mur où sont accrochées, sur des panneaux, les photos et les numéros des déplacements effectués depuis deux ans. Quelqu’un lui pose une question sur Vovtchansk, ce à quoi il répond immédiatement en indiquant le temps nécessaire pour s’y rendre. HUGS, qui signifie Helping Ukraine Grassroot Support, propose des programmes d’aide aux enfants des régions de la ligne de front, aux personnes déplacées, etc.

© Денис Волоха / Харківська правозахисна група © Denys Volokha / Kharkiv Human Rights Group © Денис Волоха / Харьковская правозащитная группа

© Denys Volokha / Groupe de défense des droits humains de Kharkiv

© Денис Волоха / Харківська правозахисна група © Denys Volokha / Kharkiv Human Rights Group © Денис Волоха / Харьковская правозащитная группа

© Denys Volokha / Groupe de défense des droits humains de Kharkiv

Une coupure d’électricité survient juste avant le début de l’enregistrement, ce qui est courant à Kharkiv aujourd’hui. C’est un autre Canadien, Jaypie, qui nous vient en aide : il a sa propre petite organisation environnementale appelée Pollute Free, et il installe justement des panneaux solaires et a réussi à en équiper une partie du garage par lequel plus de 300 véhicules, essentiellement militaires, sont passés depuis le début de la guerre, et qui sont réparés ici gratuitement. « Les gens s’impliquent à différents niveaux », commente Paul.

© Денис Волоха / Харківська правозахисна група © Denys Volokha / Kharkiv Human Rights Group © Денис Волоха / Харьковская правозащитная группа

© Denys Volokha / Groupe de défense des droits humains de Kharkiv

Dans le garage sont accrochés de nombreux drapeaux, il y a même une affiche de la Hemp Freedom March. Au cours des 18 derniers mois, des personnes de plus de 40 pays différents sont venues ici. Paul se félicite que son organisation ait pu se développer et nouer de nouveaux liens, ce qui est difficile à contester : le garage donne l’impression d’être une fourmilière, où arrivent constamment des personnes différentes. Paul communique avec tous ces gens en permanence, en fumant des cigarettes et en buvant parfois de la bière ukrainienne, qu’il aime beaucoup (« very good beer »). Sur le mur est accrochée une photo de Paul avec le maire de Kharkiv : ils portent des maillots de hockey ukrainiens et des Calgary Flames, une équipe de la ville de la province de l’Alberta, où Paul vivait avant de venir en Ukraine.

Au Canada, Paul Hughes était agriculteur et était impliqué dans des œuvres caritatives, une expérience qui, selon lui, l’a aidé à créer HUGS. L’organisation est également active à Kherson, où elle est dirigée par son fils.

« Une époque orcwellienne »

Je demande à Paul : « Que diriez-vous aux Occidentaux qui sont encore sceptiques à propos de la guerre en Ukraine ? »

« Je ne suis pas sûr de pouvoir le dire devant une caméra, mais la première chose que je dirais serait probablement : « Sortez-vous la tête du cul ». »

© Денис Волоха / Харківська правозахисна група © Denys Volokha / Kharkiv Human Rights Group © Денис Волоха / Харьковская правозащитная группа

© Denys Volokha / Groupe de défense des droits humains de Kharkiv

« Nous avons à présent une expérience personnelle et nous voyons de nos propres yeux ce qui se passe ici — poursuit Paul avec plus de diplomatie. — Il s’agit d’une attaque flagrante et brutale contre un pays souverain, l’Ukraine. Vous savez, j’essaie de parler avec ces gens, mais le monde et la façon de percevoir l’information ont quelque peu changé. Même avec l’immense quantité de données qui prouvent que cette attaque est un acte infondé et meurtrier impliquant des crimes de guerre, les gens ne peuvent pas comprendre ce qui se passe. Ils ont des œillères sur les yeux. Même lorsque vous leur présentez des faits et des données empiriques, les gens continuent à contester ».

« Nous vivons une époque très étrange. Dans 1984 et La ferme des animaux, George Orwell décrivait comment la machine de la propagande peut déformer la réalité. Pour ma part, j’utilise le mot « orcwellien » (Le terme « Orcs » est utilisé en Ukraine pour désigner les troupes russes, faisant référence aux créatures du « Seigneur des anneaux », Ndt). Nous vivons à une époque orcwellienne, où les Russes mentent. Tout ce qu’ils font, c’est mentir ! Cela fait déjà 40, 50, 60 ans qu’on le sait.

Pour avoir passé des mois à analyser les fakes news russes à propos des bio-laboratoires et des armes chimiques, je comprends parfaitement Paul.

« La Russie doit restituer tous les territoires et réparer les dommages qu’elle a causés »

« Je crois fondamentalement à la paix, — commence le Canadien, qui fêtera ses 60 ans en juin. — Mais à quel prix ? Pour l’Ukraine, le coût de cette guerre est très élevé : des morts, des maisons, églises, hôpitaux et écoles bombardés. Malheureusement, on ne peut pas dire que la paix soit aujourd’hui une option. Pour que la paix soit possible, il faudrait un accord prévoyant des réparations complètes pour l’Ukraine. Les Russes devronnt également rendre toutes les terres à l’Ukraine : la Crimée et tous les territoires des autres régions. Cependant, les Russes n’envisagent pas cette possibilité ».

« Tant que nous n’aurons pas d’accord sur ce point, aucun accord de paix ne sera possible. Autant un cessez-le-feu peut être envisagé, autant il est presque impossible de parler d’une paix totale dans les conditions actuelles ».

Au cours de son premier mois en Ukraine, Paul Hughes a été émotionnellement épuisé presque tous les jours. « J’y mettais tout mon cœur et ça me rendait très triste de voir des gens souffrir à cause des agissements d’un maniaque psychotique. J’avais déjà vu des gens en détresse après avoir perdu leur maison à cause des incendies au Canada, mais jamais à cette échelle ».

« Aujourd’hui, je vais mieux sur le plan émotionnel, mais ça me fait toujours souffrir de voir ces choses tous les jours. Chaque fois qu’on voit une maison détruite, des tableaux et des photos éparpillées par terre, des jouets d’enfants, c’est la vie de quelqu’un ! Ce ne sont pas des militaires, c’est juste une famille qui vivait sa vie. Et la seule chose dont ils sont coupables, c’est d’être Ukrainiens ».

Paul et Mac ont beaucoup parlé de la durée de leur séjour en Ukraine. Ils ont promis qu’ils resteraient ici jusqu’à la fin de cette guerre.

« Je dis aux gens que c’est comme si on demandait à un pompier : « Hé, pompier, quand rentreras-tu chez toi ? », alors ce pompier répondrait : « Eh bien, quand le feu sera éteint ». C’est la même chose pour nous.

Partager l'article