« Vous devez payer: identification des responsables de la frappe de missiles sur Kramatorsk et Bilenke le 27 juin 2023 »
Cet acte, constituant une attaque indiscriminée, doit être qualifiée de crime de guerre.
Pour établir ces données, Truth Hounds a recueilli 22 déclarations de témoins et de victimes, y compris des personnes qui n’avaient jamais été interrogées auparavant, examiné la nature des sites de destruction et d’impact au cours de la mission sur le terrain, effectué une reconnaissance OSINT et analysé les pratiques en matière d’application du droit humanitaire et pénal international. Deux versions de l’enquête ont été préparées, dont l’une contient des détails supplémentaires et est destinée aux services ukrainiens d’application de la loi. L’objectif de cette différenciation est de protéger les informations sensibles sur les circonstances du crime et de fournir aux autorités chargées de l’enquête une base de preuves. Les détails contenus dans la version non publique de l’enquête n’affectent pas les conclusions ou la qualification juridique de l’incident.
Identification du type d’arme et des exécutants de l’attaque
Le 27 juin 2023, une double frappe de missiles a été lancée sur la ville de Kramatorsk à 19h32, et à 19h33 sur le village voisin de Bilenke, dans la région de Donetsk, faisant 13 morts et plus de 60 blessés. Viktoria Amelina, documentaliste de Truth Hounds et membre du PEN club ukrainien, figurait parmi les victimes.
En se basant sur une analyse des dommages causés aux locaux de l’établissement « Ria Lounge » à Kramatorsk, des paramètres du cratère dans le village de Bilenke et d’un fragment de munition trouvé dans ce cratère, ainsi que sur des témoignages et d’autres éléments spécifiques, Truth Hounds a prouvé que cette attaque avait été menée par les forces armées russes à l’aide de missiles de croisière de type « Iskander-K ».
Les faits établis indiquent que les missiles ont été lancés depuis un point situé au sud-est des zones habitées, un territoire situé dans une zone sous la responsabilité du district militaire sud des forces armées russes. Il comprend quatre unités armées dotées de complexes opérationnels et tactiques « Iskander ». Cependant, après avoir analysé la localisation des frappes et impacts et la direction des opérations de combat au moment de l’attaque, la liste des exécutants possibles a été réduite à une seule unité : la 47e brigade de missiles de la 8e armée combinée des forces armées russes, commandée par le colonel Vitali Bobyr.
Présence de cibles militaires légitimes
Après avoir interrogé dix témoins blessés parmi les visiteurs de l’établissement et quatre employés du « Ria Lounge » qui étaient de service le jour de l’attaque, il a été établi que ce jour-là, une quarantaine de militaires d’une unité des forces armées ukrainiennes, y compris des représentants de son commandement, sont restés un long moment dans le café pour un événement privé.
Cet événement avait été planifié un mois auparavant et séparé en deux parties : les premiers militaires devaient arriver à 13h00 et le second groupe à 19h00. Dans les deux cas, il s’agissait de groupes de 20 personnes. Cependant, tous les témoins ne sont pas unanimes sur le fait que le deuxième groupe de militaires, censé arriver dans la soirée, soit venu à l’établissement ce jour-là. Au même moment, un autre événement devait se tenir dans le village de Bilenke, dans l’établissement « Laguna », situé à l’angle des rues Beliaeva et Sofivska. La deuxième roquette est tombée à dix mètres de cet établissement.
Dans son enquête, Truth Hounds a démontré que le jour de l’attaque, le pourcentage de militaires présents parmi les visiteurs était élevé : la plupart des personnes interrogées étaient unanimes sur le fait que dans la salle principale du « Ria Lounge », la moitié des clients étaient des militaires ukrainiens. En outre, comme nous l’avons déjà indiqué, le jour de l’attaque, deux cérémonies étaient prévues dans ce café pour des militaires dans le sous-sol du restaurant. Considérant que les Russes ont pu être informés de ces célébrations, on peut raisonnablement supposer que la fédération de Russie avait des raisons de considérer le restaurant « Ria Lounge » et le café « Laguna » comme des cibles d’attaque légitimes.
Qualification juridique
Malgré la présence d’un pourcentage important de militaires ukrainiens parmi les clients du « Ria Lounge » le soir de l’attaque, cette double attaque contre Kramatorsk et Bilenke doit être qualifiée de crime de guerre par attaque indiscriminée.
Le droit international humanitaire n’interdit pas seulement les attaques dirigées contre des biens de caractère civil, il interdit également les attaques sans discrimination qui causeraient incidemment « des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ».
Le site touché était situé dans une zone densément peuplée d’une grande ville et était utilisé à la fois par des civils et des militaires. Les seules cibles qui auraient pu être légitimement visées étaient les militaires ukrainiens. Le fait que la cible de l’attaque soit mobile et non statique aurait dû obliger l’attaquant à exercer un contrôle minutieux sur la cible, ce que n’ont pas fait les Russes, comme l’ont découvert les enquêteurs de Truth Hounds.
L’utilisation d’un missile de croisière, une arme hautement destructrice, indique que l’auteur était conscient des conséquences possibles et n’a pas souhaité éviter les dommages excessifs que l’attaque pouvait causer (et qu’elle a causés).
L’enquête a démontré que le vol du missile avait duré environ 18 minutes. Cela permet d’affirmer que les auteurs de l’attaque sur Kramatorsk n’avaient aucun contrôle sur la cible entre le moment du lancement et celui de l’impact, et qu’ils ne pouvaient donc pas savoir avec certitude s’il y allait avoir encore des militaires dans l’établissement, et qui serait touché exactement par l’attaque. C’est finalement ce qui s’est passé : le nombre de victimes documentées parmi les militaires ne dépasse pas deux personnes.
Compte tenu de l’utilisation de missiles de croisière à forte puissance destructrice contre un établissement situé dans une zone densément peuplée d’une grande ville et de l’absence de contrôle de la cible entre le lancement du missile et le moment de l’impact, Truth Hounds conclut que l’attaquant savait et n’a pas souhaité éviter les dommages injustifiés que cette attaque aurait pu causer et a finalement causés aux civils.
En combinant la vaste zone de destruction causée par les missiles de croisière avec l’absence de contrôle de la cible par les attaquants, on peut affirmer que les attaques contre le restaurant « Ria Lounge » et le café « Laguna » sont de fait indiscriminées.
Schéma d’utilisation des « Iskanders » par les forces armées de la fédération de Russie
En outre, cette attaque de la ville de Kramatorsk et du village de Bilenke constitue un incident supplémentaire dans le schéma général des agissements de l’armée russe, dont on peut dire qu’il est bien établi. Il s’agit d’attaques contre des cibles militaires souvent légitimes, planifiées et menées de manière à causer collatéralement autant de victimes civiles que possible.
L’objectif de cette stratégie est de faire craindre aux civils de se trouver à proximité de militaires ukrainiens, de diviser les Ukrainiens, afin de marginaliser l’armée et de la séparer des autres composantes de la société.
D’autres attaques s’inscrivent dans ce schéma :
- Le 4 juillet 2023, un missile de croisière Iskander-K a frappé la ville de Pervomaïskyi, dans la région de Kharkiv. Le missile est tombé près d’une cérémonie d’adieu en l’honneur d’un soldat de l’unité spéciale « Kraken » tombé au combat.
- Le 19 août 2023, un missile Iskander-K, équipé d’un détonateur sans impact, a frappé le bâtiment du théâtre dramatique de Tchernihiv. Bien qu’il y ait eu, à l’intérieur du théâtre, du matériel et des personnes qui auraient pu être des cibles légitimes pour l’attaque, le type de détonateur choisi indique l’intention de l’attaquant de frapper les civils autour de la cible plutôt que seulement les militaires et les fabricants de drones qui se trouvaient à l’intérieur.
- Le 5 octobre 2023, les forces armées russes ont attaqué le village de Hroza dans la région de Kharkiv en utilisant un missile balistique Iskander-M. Au moment de l’attaque, les habitants étaient rassemblés dans un café du village pour l’enterrement d’un militaire, habitant de ce village. Cette frappe a causé la mort de 59 civils.
Source: Truth Hounds