Voitures, machines à laver, bijoux et saucisson: comment les occupants ont pillé la région de Kharkiv

À propos des pillages effectués par les militaires russes dans la région de Kharkiv.
Mikola Komarovski29 Août 2023UA DE EN ES FR IT RU

[Ілюстрація Сергій Приткін]

Une grande partie de la région de Kharkiv a été occupée dès les premiers jours de l’invasion à grande échelle, et jusqu’en septembre 2022. Au cours de cette période, les militaires russes ont eu le temps de dérober beaucoup de choses : des articles ménagers, des voitures, du matériel agricole et même des microcircuits provenant des ordinateurs d'une institution scientifique.

Voitures volées : « ils roulaient avec, les fracassaient, et les abandonnaient »

Dans la région de Kharkiv, l’appropriation de véhicules personnels a été la pratique la plus courante. Olga Mirochnitchenko, une habitante d'Izioum, a raconté : « Ils ont pris ma voiture. Ils ont pris les voitures de tout le monde, et y ont dessiné des « Z », des « V », ils roulaient avec et puis les abandonnaient, hors d’usage ». Une habitante du village de Tsirkuny a déclaré au Groupe de défense des droits humains de Kharkiv que quatre militaires russes étaient venus chez elle et avaient pris sa voiture. Malheureusement, il y a aussi eu des cas où les Russes ont tué des civils pour prendre possession de leurs biens, comme cela s’est produit le 21 avril 2022 dans le village de Ruski Tyshki, lorsque des militaires russes ont abattu un homme de 58 ans dans son propre garage.

Les Russes ont « nationalisé » un grand nombre de véhicules à proximité du barrage de Pecheneg. C’est par là que beaucoup d’Ukrainiens étaient passés, fuyant le territoire occupé par les Russes pour rejoindre les territoires libres. Mais comme il n’était possible de franchir le barrage qu’à pied, les gens ont souvent dû abandonner leur voiture près du barrage. Les habitants des villages voisins indiquent que les pilleurs militaires russes ont immédiatement pris possession de ces voitures.

Les voitures représentent 43 % des cas documentés de spoliation. Il est question de 71 véhicules au minimum, mais le nombre réel est plus élevé : dans certains cas, des « vols en masse de voitures » ont été signalés.

Parfois, des habitants ont apporté leur concours aux occupants pour ces spoliations. À Ruska Lozova, un chef d'atelier d’une entreprise locale a volontairement remis des véhicules destinés au transport de marchandises et de passagers à des représentants des groupes armés russes.

Cambriolages de maisons : des biens emmenés par camions entiers

Le vol de biens dans des logements privés constitue la deuxième catégorie la plus fréquente.

Pendant l’occupation, des maisons du lotissement « Oudatchino », situé dans le village de Ruski Tyshki, ont été pillées. Les Russes ont mis la main sur tous les appareils ménagers et ont emmené tous les biens volés dans la ville de Belgorod.

[мародерство, війна, пограбування, мародерство російських військових]

Selon le bureau du procureur régional de Kharkiv, des soldats de la 25e brigade de fusiliers motorisés des forces armées russes se sont introduits dans l’une des maisons privées, où ils ont volé des bijoux en or et en argent, un ordinateur portable et une collection de pièces de monnaie anciennes. Les forces de l'ordre ont réussi à identifier les auteurs des ces actes, qui ont été informés par contumace des soupçons qui pesaient sur eux.

« Ils ont tout emmené : des réfrigérateurs, des machines à laver, tous les vêtements, une baignoire, tout ce qu’il y avait dans le garage. Les voisins racontent qu’ils sont venus avec deux camions KAMAZ et ont emporté tout ce qu’ils pouvaient... » a déclaré Serhiy Serdiouk, un habitant de Ruski Tyshki. « Ici, ils triaient les machines à laver volées chez les gens et les emmenaient également dans des camions KAMAZ ». Le tri des machines à laver avant leur expédition en Russie a été effectuée dans sa propre cour.

Elena, une habitante d’Izioum, a décrit ainsi les agissements des Russes : « Ils ont pris le téléphone de mon mari, un ordinateur portable et un écran plasma. Ils ont mis tout ce qu’ils voulaient dans une valise. Ils ont même pris des fourchettes et des cuillères. C’est ridicule... Ils ont laissé mon mari en vie, ils ne l'ont pas touché ». Malheureusement, après cela, les occupants ont tué le mari d'Elena Grebeniouk : son corps a été retrouvé avec une balle dans la tête.

Dans deux cas étudiés, les Russes ont utilisé les gadgets volés sans se déconnecter des comptes de leurs propriétaires, ce qui a permis à ces derniers de suivre les agissements des criminels.

La première affaire de ce genre s’est produite à Tsirkuny. La police a été contactée par une femme qui a commencé à voir apparaître dans Google Photos « des photos et des vidéos d'hommes inconnus en uniforme militaire, qui buvaient et s’amusaient dans sa maison ».

On voit sur cette vidéo les occupants circuler dans le village dans une voiture volée, s’installer comme chez eux dans les maisons des habitants et boire de l’alcool volé.

Un étudiant en droit a signalé que ses écouteurs sans fil, qu'il avait laissés dans sa maison à Izioum pendant l’occupation, ont été géolocalisés dans la ville russe de Severodvinsk grâce à l’application FindMy. Au moment de l’observation, le voleur ou la personne utilisant les écouteurs se trouvait dans un café.

Une des pratiques des militaires russes largement répandue, lorsqu’ils occupent une localité, est de confisquer tous les téléphones des habitants, soi-disant pour les vérifier, et ne jamais les rendre. Les habitants du village de Kamianka, près d’Izioum, en ont témoigné.

Le cas du vol de carreaux de céramique par des militaires russes soulève plus de questions que de réponses : l’année dernière, après avoir éliminé des unités ennemies, des soldats de la 93e brigade des Forces armées ukrainiennes ont ouvert une caisse de munitions et y ont vu des carreaux que les occupants avaient tenté d'emporter en Russie.

СтратКом ЗСУ / AFU StratCom СтратКом ВСУ / AFU StratCom

AFU StratCom

Entreprises et exploitations agricoles

À Ruski Tyshki, des militaires russes ont volé une charrue à disques à Viktor Semiatchko, un agriculteur local. « Le 24 avril, jour de Pâques, ils sont venus avec un tracteur, ils y ont accroché les disques et ils sont partis. Mes équipements sont plutôt vieux, ils les avaient regardés et compris qu’il n’y avait rien à prendre. Mais la charrue toute neuve, ils l’ont prise », se souvient l’homme.

Dans le village de Ruska Lozova, les occupants ont pillé un atelier de fabrication de saucisson. Selon l’un des habitants, le saucisson a ensuite été distribué aux habitants sous forme d'aide humanitaire. Dans le même temps, les Russes emmenaient du matériel pillé dans des entreprises.

Les Russes ont également distribué des céréales volées aux agriculteurs au titre de l’aide humanitaire. Cela a fait l’objet d'un rapport du conseil de village de Borivske daté du 16 juin 2022 : « Les occupants, qui ont apporté la destruction, lerrance et la mort sur notre terre, tentent à présent de gagner la loyauté de la population aux dépens du bien et de la propriété d'autrui. Par exemple, ils ont spolié le blé qui restait dans les entrepôts de certaines fermes et le distribuent aux gens sous couvert daide humanitaire ».

À Vovtchansk, un habitant s'est rendu complice et a aidé les militaires russes à cambrioler les entrepôts de l'usine de transformation de viande de Vovtchansk, ainsi que les locaux d'une entreprise de production de sucre dans le village de Bilyi Kolodiaz, dans le district de Tchouhouïv.

Dans un cas, le pillage des habitants a été commis de façon un peu particulière. Dans la ville occupée d'Izioum, une employée des services fiscaux s’est volontairement ralliée aux militaires russes et a mis en place une administration illégale et une collecte de paiements obligatoires en faveur des troupes russes auprès des habitants des territoires temporairement occupés de la région de Kharkiv. En outre, cette femme a veillé au brevetage d'activités entrepreneuriales d'entités commerciales.

Technologie de pointe

Le 2 avril 2022, les troupes russes ont occupé le territoire de l’Observatoire de radioastronomie Braude, de renommée mondiale. Elles y sont restées pendant plusieurs mois. « Elles ont volé beaucoup de choses : des machines, des machines-outils, des transformateurs, des tracteurs. Des ordinateurs, bien sûr. Mais beaucoup d'équipements ont été juste saccagés, car ils n’y connaissaient rien. Il y avait des unités centrales qui traînaient partout. Je ne comprends pas ce qu'ils cherchaient », s’étonne Anna Belenets, l'une des employées de l’observatoire, après sa libération.

« 90 % des infrastructures ont été détruites et volées », a déclaré Alexander Konovalenko, académicien de l’Académie nationale des sciences d’Ukraine et directeur adjoint des travaux de recherche de l’Institut de radioastronomie. « Les dégâts ont été quantifiés : ils s’élèvent à plusieurs centaines de millions de dollars ».

Nombre d’épisodes et géographie des crimes

Au moment de cette publication, la base de données T4P enregistrait 100 épisodes de vols et de pillages. Il faut toutefois comprendre que ce chiffre couvre un nombre bien plus important d’objets volés. À titre d'exemple, un épisode peut impliquer le pillage d'un grand nombre de maisons dans un lotissement particulier. Il peut également s’agir du témoignage d’un habitant d’un village qui a signalé un vol massif de voitures.

Si l’on considère la géographie des crimes commis, le nombre le plus élevé de cas de pillage de localités a été enregistré dans la région d’Izioum (67 épisodes), soit les deux tiers du nombre total. Viennent ensuite les localités de la région de Kharkiv (19 épisodes).

En ce qui concerne la période, la plupart des épisodes ont été intégrés à la base de données soit pendant l’occupation, soit peu de temps après la désoccupation de la région de Kharkiv. Cependant, le Centre de défense des droits humains de Kharkiv continue de recueillir des informations et de recevoir des témoignages d’habitants sur les crimes commis pendant la période où ces territoires ukrainiens étaient sous contrôle des forces armées de la Fédération de Russie.

Qualification juridique

Le statut de Rome de la Cour pénale internationale, dans son article 8 sur les crimes de guerre, prévoit la responsabilité en cas de pillage d'une ville ou d'une localité, même prise d’assaut. Il convient de noter que cette disposition se réfère spécifiquement au vol ordinaire de biens, c'est-à-dire lorsque les militaires s’emparent de biens en vue d'un usage personnel ultérieur. Si, par exemple, des biens sont confisqués uniquement pour des besoins militaires, la responsabilité en vertu de cet article est exclue.

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