Une mère de deux enfants enlevée à Melitopol, torturée et détenue à Moscou
Zlata a six ans, et elle ne sait pas pourquoi cela fait de longs mois qu’elle n’a pas vu sa mère, Yanina Akoulova. Sa sœur Vika a aujourd’hui 14 ans, et la famille a décidé qu'elle devait savoir que sa mère était en prison à Moscou, où elle a été emmenée par les Russes qui ont envahi Melitopol, leur ville natale, et qui ont bouleversé leur vie.
Malheureusement, ce n'est qu'une partie de l'histoire, car Yanina a passé six semaines en prison avant d'être emmenée au tribunal du district de Lefortovo, à Moscou, et d'être officiellement placée en détention. Grâce au premier bref appel téléphonique qu'elle a pu passer à sa sœur, nous savons que le FSB a utilisé au moins une partie de ce temps pour torturer Yanina afin qu'elle signe « certains documents ». Comme dans le cas d'autres prisonniers politiques ukrainiens, le FSB a dû attendre que les ecchymoses s’estompent pour reconnaître officiellement qu'elle était détenue.
Melitopol, située dans la région de Zaporijjia, a été l'une des premières villes occupées par la Russie en 2022, elle est toujours aujourd’hui sous occupation russe. Mme Akoulova et sa famille sont restées dans la ville, comptant probablement sur les forces armées ukrainiennes pour les libérer. Katerina Radchenko, la sœur de Y. Akoulova, a expliqué au Centre de défense des droits humains « Zmina » que la situation avait changé après l'organisation d'un faux « référendum » en Russie en septembre 2022. Craignant que les envahisseurs ne tentent de « mobiliser » de force son mari, Mme Akoulova a insisté pour qu'il quitte la ville avec leurs enfants. Elle prévoyait de rester à Melitopol le temps de trouver un foyer pour ses chiens, son perroquet et ses poules.
Ce n’est que le 12 octobre 2022 qu’on a appris la disparition de Y. Akoulova. Katerina sait à présent que sa sœur a été capturée la veille par des militaires russes qui tenaient un check-point. Ils l’ont amenée au domicile familial à 2 heures du matin, ont procédé à une fouille de la maison, probablement à la recherche d’explosifs, mais n’ont rien trouvé. Il semble qu’ils soient revenus plusieurs fois depuis lors.
Comme d'habitude, les « autorités » d'occupation ont nié savoir où se trouvait Akoulova, et la « police » russe a refusé d'enregistrer le signalement de sa disparition par sa famille.
Pendant les six semaines qui ont suivi, la famille a vécu un véritable enfer, sachant seulement que Yanina avait été capturée par les Russes, qui, eux, prétendaient ne pas savoir où elle se trouvait.
Le 24 novembre, l'agence de presse officielle russe TASS et la télévision ont annoncé qu'un « gang terroriste » dirigé par Yanina Akoulova avait été découvert par les Russes dans la ville occupée de Melitopol, alors qu’il était en train de planifier une attaque terroriste sur le marché. Il convient de souligner ici que les attaques de la résistance visaient exclusivement les installations militaires et les collaborateurs mis en place par les occupants. Ce seul fait rend ces accusations peu plausibles. En outre, elles sont extrêmement cyniques, venant d’un pays qui envahit le domicile de trois Ukrainiens, les enlève, les transporte illégalement à Moscou et les inculpe en vertu de la législation russe pour des faits, très probablement fictifs, commis sur le territoire ukrainien. Outre Yanina Akoulova, les rapports affirmaient que deux Ukrainiens, Dmitro Serheev et Anton Joukovsky, avaient été également « arrêtés ». La famille de Yanina n'a aucune idée de qui sont ces deux hommes. Un autre aspect caractéristique de cette affaire est que les Russes affirment que ces personnes auraient commis un crime sur le territoire contrôlé par l'État ukrainien et qu'elles auraient été soumises à un véritable chantage de la part des forces de l'ordre ukrainiennes : elles auraient donc tenté d’éviter les poursuites pénales en commettant un « attentat terroriste » à Melitopol. Moscou tente de revendiquer un soutien de près de 100 % de la population locale en faveur d’un « rattachement à la Russie » et, tout en les accusant de « terrorisme », trouve plus commode de leur attribuer des motifs mercenaires ou équivalents. On remarque toutefois que dans la vidéo, très certainement fournie par le FSB, les visages des deux hommes sont délibérément floutés, alors que celui de Yanina Akoulova ne l'est pas.
Le Centre d'enquêtes journalistiques avait précédemment rapporté que le FSB russe affirmait également que le 18 septembre 2022, trois Ukrainiens avaient fait exploser une voiture transportant Mikhaïl Schetinine et Sergueï Gorbounov, des ressortissants russes nommés par le pays agresseur comme hauts fonctionnaires de « l'administration » d'occupation.
Malheureusement, il arrive parfois que les Russes capturent des patriotes résistants ukrainiens qui mènent des attaques contre des cibles légitimes. Cependant, ils étayent aussi souvent leurs « statistiques » sur des crimes prétendument résolus, arrêtant des personnes sur la base de leur nationalité et/ou de leur position pro-ukrainienne. Les méthodes alors utilisées, en particulier l'enregistrement vidéo d’« aveux » extorqués sous la torture, font qu’il importe peu à ces agents du FSB de savoir si la personne a été vraiment impliquée de quelque manière que ce soit.
Les accusations portées par l'État occupant relèvent des articles 30, paragraphe 1, et 205.4, paragraphe 2, du Code pénal russe (conspiration en vue de commettre un acte terroriste dans le cadre d'un groupe organisé), ainsi que des articles 222, paragraphe 4 (détention illégale d'armes) et 222.1, paragraphe 4 (détention illégale d'explosifs). Ils encourent une peine de 12 à 20 ans, et leur « procès » se déroulera probablement devant le tribunal militaire du district sud de Rostov, celui qui a condamné plus de 100 Tatars de Crimée et d'autres prisonniers politiques ukrainiens à des peines d'emprisonnement très lourdes.
Ainsi, la Russie prétend que les trois Ukrainiens n'ont été arrêtés que le 24 novembre 2022, alors que l'on sait qu'au moins Y. Akoulova est en captivité russe depuis le 11 octobre. La raison de cette dissimulation est malheureusement évidente. Dans la première des quatre brèves conversations téléphoniques qu'elle a réussi à obtenir après que les Russes ont reconnu sa détention, elle a déclaré qu'elle avait été battue durant deux jours et forcée à signer des documents qui avaient été placés devant elle. Elle a ensuite été détenue dans un lieu inconnu jusqu'à ce que les signes de torture s’estompent, après quoi elle a été emmenée à Moscou.
Au cours des brefs appels ultérieurs, Yanina pleurait, demandant des nouvelles de ses filles et disant combien elles et toute sa famille lui manquaient.
Un avocat a été engagé pour représenter les intérêts de Yanina devant le tribunal, mais aussi pour lui fournir de la nourriture et d'autres produits de première nécessité dans le centre de détention provisoire de Lefortovo, grâce à l'argent envoyé par sa famille. Les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires russes sont terribles, et l'avocat rapporte que Yanina a perdu 15 kilos depuis le début de sa captivité en Russie. Le plus inquiétant est qu’elle souffre d'asthme et qu’elle a besoin d'un inhalateur. Elle a assuré à sa famille qu'elle recevait tout ce dont elle avait besoin, mais ces affirmations visent peut-être surtout à rassurer ses proches, en particulier sa mère âgée. Elle a longtemps été détenue à l'isolement, mais récemment, une femme de 60 ans de la région de Zaporijjia a été placée dans la même cellule qu’elle.