Problèmes non résolus de la protection des prisonniers de guerre et des détenus civils : le rôle du Comité international de la Croix-Rouge

Une analyse des activités du CICR depuis mars 2022 révèle que plusieurs des fonctions de cette organisation ne sont malheureusement toujours pas mises en œuvre. Des mesures urgentes sont nécessaires, car la non-résolution de ces problèmes est source de souffrances pour des dizaines de milliers de personnes.
Mikhaïlo Savva, Oleh Martynenko25 Mai 2023UA DE EN ES FR IT RU

Фото: Міжнародний Комітет Червоного Хреста Фото: Международный Комитет Красного Креста

Photo : Comité International de la Croix Rouge

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) joue un rôle important dans la protection des droits des personnes en temps de guerre. Le droit international humanitaire et son socle, les Conventions de Genève, ont formalisé le statut du CICR en tant qu'organisation indépendante et neutre fournissant une protection et une assistance humanitaires aux victimes de conflits armés et d'autres situations de violence. Un certain nombre de tâches et de mandats du CICR sont explicitement mentionnés dans les Conventions de Genève, notamment en ce qui concerne la protection des prisonniers de guerre et de la population civile.

L'invasion à grande échelle de l'Ukraine par les troupes russes a exacerbé des problèmes tels que la dissimulation par l'État agresseur d'informations sur les prisonniers de guerre et les citoyens ukrainiens détenus, l'interdiction pour ces personnes de correspondre avec leurs proches, la détention illégale de civils, la torture ou les traitements inhumains ou dégradants dans les lieux de détention, le décès en captivité de malades et de blessés en raison de soins médicaux insuffisants. Puisque les autorités russes refusent de reconnaître ces problèmes concernant les prisonniers de guerre et les civils ukrainiens, le rôle du CICR dans leur résolution est objectivement de plus en plus important. Cependant, une analyse des activités du CICR depuis mars 2022 révèle que plusieurs des fonctions de cette organisation ne sont malheureusement toujours pas mises en œuvre.

Tout d'abord, il convient de souligner l'absence de Puissance protectrice dans les processus diplomatiques et humanitaires : celle-ci n'a toujours pas été désignée. Il est difficile de surestimer le rôle d'une Puissance protectrice dans le contrôle du respect des normes du droit international humanitaire. Elle pourrait, par exemple, nommer des délégués spéciaux pour défendre les intérêts de l'Ukraine dans la Fédération de Russie. Le CICR dispose de pouvoirs spéciaux dans la procédure de désignation d'une Puissance protectrice au cas où les parties belligérantes ne pourraient s'entendre sur la désignation d'une telle Puissance. C'est ce qui s'est passé en 2022, lorsque la partie russe a refusé de reconnaître la Suisse comme Puissance protectrice, proposée par la partie ukrainienne. Dans ce cas, le CICR était habilité à proposer aux Parties au conflit d'assumer les fonctions de Puissance protectrice (c'est-à-dire d'agir en tant que substitut) et de consulter les Parties susmentionnées. Cependant, il n'existe aucune information sur une telle action du CICR, pourtant prévue par le Protocole additionnel (1977).

Un deuxième problème est étroitement lié à celui de cette absence de Puissance protectrice. La mission du CICR n'a pas accès à tous les lieux de détention russes où sont enfermés des prisonniers de guerre et des civils ukrainiens. Selon nos estimations, seule une petite partie des citoyens ukrainiens détenus dans des lieux de détention sur le territoire russe et dans les territoires occupés de l'Ukraine sont concernés par cet accès. Le Centre pour les libertés civiles estime qu'au moins  deux mille non-combattants ukrainiens ont été enlevés et emprisonnés pendant de longues périodes par l'armée russe et les services spéciaux. Dans la base de données de l'initiative T4P, ce nombre dépasse 4 700. Les autorités russes refusent de fournir des informations sur les détenus ukrainiens, même à leurs parents les plus proches ayant prouvé leur lien de parenté. Le CICR n'ayant pas accès à toutes les personnes privées de liberté, les autorités russes peuvent donc dissimuler les lieux de détention d'Ukrainiens sans qu'aucun contrôle ne soit effectué et y agir à leur guise. Le CICR confirme l'existence de ce problème. Ainsi, le 16 octobre 2022, un communiqué de presse de l'organisation indiquait : « Le CICR ne bénéficie toujours pas d’un accès sans restriction et répété à tous les prisonniers de guerre dans le cadre de ce conflit armé international. Et ce, bien que nos équipes demandent avec insistance depuis près de huit mois à pouvoir visiter tous les lieux de détention et d’internement.  ». Et du fait de cette absence de contrôle par des organisations internationales, des prisonniers de guerre ukrainiens sont torturés dans des lieux de détention, ce qui est confirmé par la publication régulière de photographies de prisonniers de guerre et de civils ukrainiens roués de coups sur les réseaux sociaux russes. Puisque que c'est seulement en décembre 2022 que le CICR a pu avoir pour la première fois un accès à des lieux de détention russes, le sort des prisonniers ukrainiens va à l'avenir grandement dépendre du renforcement de l'activité du CICR dans ce domaine.

Un problème tout aussi important est l'absence de commissions médicales mixtes, dont les activités sont régies par l'annexe II (« Règlement concernant les commissions médicales mixtes ») de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre. Ces commissions sont un élément central pour le rapatriement de prisonniers de guerre en temps de conflit armé. Ce sont ces commissions médicales mixtes qui sont chargées d'examiner régulièrement les prisonniers de guerre et de déterminer qui est gravement malade ou blessé et qui doit être rapatrié ou hospitalisé dans un pays neutre.

Dans le contexte ukrainien actuel, le problème de la mise en place de commissions n'est pas seulement la durée potentielle de la sélection de représentants des pays indépendants et de leurs suppléants, mais également, ici aussi, à l'absence de Puissance protectrice. En attendant, l'absence de commissions médicales mixtes entraîne de graves conséquences pour des personnes concrètes, puisque le pays agresseur ne libère pas volontairement les blessés graves et les malades. Cela entraîne malheureusement des cas de maladies graves, de troubles mentaux et même de décès d'Ukrainiens en captivité russe.

Le CICR utilise parfois un vocabulaire visant objectivement à faire passer pour ordinaires ou normaux des agissements de la partie russe qui violent pourtant le droit humanitaire international. Ainsi, le CICR a évoqué l'internement dans le cadre de cette guerre, bien que la partie russe n'ait pas respecté les procédures de l'internement. Nous avons déjà cité ci-dessus le communiqué de presse du CICR du 16 octobre 2022 « Russie-Ukraine : le CICR est prêt à visiter tous les prisonniers de guerre – mais l’accès doit lui être accordé ».

La Convention (IV) sur la protection des civils en temps de guerre autorise l'internement de civils dans certains cas. Toutefois, les ressortissants ukrainiens n'ont pas été officiellement internés en Russie. Aucun ordre d'internement prévu par l'article 42 de la Convention n'a été émis et les citoyens ukrainiens enlevés n'ont pas eu le droit de faire appel de ces décisions d'internement. Les décisions d'internement doivent être prises conformément à la procédure normale. Cette règle n'a pas été respectée par la Partie russe, car aucune procédure d'internement n'a été établie.

Une action urgente et forte est nécessaire pour résoudre ces problèmes. Leur non-résolution est source de souffrances pour des dizaines de milliers de personnes, ce qu'aucun motif politique ou bureaucratique ne peut justifier. Et malgré ses efforts, le CICR ne peut pas résoudre certains de ces problèmes par lui-même. De longue tradition, le CICR n'agit pas publiquement, toutefois cela ne doit pas empêcher d'autres organisations, en particulier celles de défense des droits humains, d'attirer l'attention sur ces points sensibles. Il est temps de consolider les efforts de la communauté mondiale de défense des droits humains et des organisations internationales pour attirer l'attention sur ces problèmes et aider le CICR à remplir ses fonctions. Un dialogue permanent entre le CICR et les parties concernées est nécessaire, ce qui implique l'engagement du CICR à entendre et prendre en compte des arguments légitimes et à y répondre publiquement.

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