Seïran Saliev, journaliste tatar de Crimée, condamné à 15 ans de prison pour avoir dénoncé la répression russe
Les représailles de la Russie contre les journalistes citoyens et les militants tatars de Crimée qui refusent de garder le silence sur la répression croissante en Crimée occupée ne s’arrête pas aux faux procès et aux condamnations effroyables. Seïran Saliev est détenu dans des conditions épouvantables dans un centre de détention provisoire russe depuis le 20 novembre 2024. L’administration pénitentiaire n’a même pas essayé de donner des raisons plausibles à cette situation, et l’épouse de Saliev n’a aucun doute sur le fait que son régime strict de détention est motivé par des raisons politiques.
Mumine Salieva, elle-même célèbre militante de défense des droits humains, a rapporté le 26 janvier que la famille avait appris un nouveau placement à l’isolement de son mari seulement un mois et demi après le premier, qui avait duré 15 jours. Avant cela, le directeur de la colonie pénitentiaire n°4 de la région de Toula n’avait jamais répondu aux appels de la mère de Seïran, Zodie Salieva.
De même, le personnel de la prison ne se presse pas de répondre aux lettres officielles que Mumine a envoyées à plusieurs reprises, et dont les réponses sont nécessaires pour engager des poursuites judiciaires. Le 10 janvier, elle a enfin reçu la confirmation que le 21 juin 2024, une commission interne de la colonie avait décidé d’appliquer à Saliev le « régime strict » qui implique des conditions de détention encore plus sévères, affirmant que Saliev était coupable d’« infractions répétées », bien qu’aucun détail précis n’ait été fourni concernant la nature des « infractions » commises.
Puis, le 21 janvier, Mumine a reçu une réponse à un autre de ses courriers : le 9 janvier 2025, la commission avait placé Saliev en cellule disciplinaire pour avoir, la veille, « enfreint les règles pénitentiaires ». Cette réponse ne mentionne cependant pas le fait que Saliev était déjà placé à l’isolement depuis le 20 novembre 2024, ce qui signifie que des peines de 10 ou 15 jours d’isolement s’étaient enchaînées les unes après les autres.
Il est bien connu que divers prétextes sont utilisés pour placer les prisonniers politiques tatars de Crimée et ukrainiens à l’isolement, et tout porte à croire qu’ici aussi, les motifs ont été fabriqués de toutes pièces. En décembre 2024, Mouslim Aliev, reconnu par Amnesty International comme prisonnier d’opinion, et le prisonnier politique Teïmour Abdoullaïev ont été placés à l’isolement. La raison invoquée était que les deux hommes, musulmans pratiquants, n’avaient pas salué le directeur de la prison, arrivé alors qu’ils récitaient les prières du matin. Tout porte à croire que la visite du directeur a été une manœuvre délibérée pour soumettre les prisonniers politiques à des conditions de détention plus difficiles. Il est presque certain que quelque chose de similaire s’est produit pour le journaliste tatare de Crimée emprisonné Remzi Bekirov. Lui aussi a récemment été placé à l’isolement pour avoir accompli la prière du matin et a été soumis à des conditions de détention particulièrement restrictives ou à divers isolements à sept reprises au cours des six mois suivant son transfert à la colonie pénitentiaire n°33 de Khakassie.
Ce faisant, la Russie viole non seulement le droit international et les dispositions de la Cour européenne des droits de l’homme, mais aussi ses propres directives relatives au traitement des prisonniers, puisqu’elle détient des prisonniers politiques ukrainiens à des milliers de kilomètres de leur domicile et de leur famille.
Seïran est le fils de Zodie Salieva, militante émérite du mouvement national des Tatars de Crimée qui a elle-même été victime de persécutions pendant l’occupation russe. Le grand-père de Zodie avait été exécuté sous Staline pour avoir refusé d’intégrer un kolkhoz. Ce refus avait alors été qualifié de « tentative de renversement du régime soviétique », une accusation infondée et absurde qui, 80 ans plus tard, allait être répétée à l’encontre de son arrière-petit-fils Seïran Saliev, qui, avec sa femme, a refusé de fermer les yeux sur les persécutions politiques et religieuses croissantes menées par la Russie en Crimée occupée, et qui a participé activement au mouvement de défense des droits humains « Solidarité Crimée ».
Saliev a fait partie des huit journalistes et militants de la société civile tatare de Crimée capturés lors de la première attaque déclarée de la Russie contre le mouvement de défense des droits humains « Solidarité Crimée ». Lui et plusieurs autres avaient déjà fait l’objet de poursuites administratives, mais comme cela n’avait pas suffi à les faire taire, le FSB a porté contre eux des accusations absurdes de « terrorisme ».
Le 11 octobre 2017, quatre journalistes civiques tatars de Crimée ont été arrêtés : Seïran Saliev (né en 1985), Ernes Ametov (né en 1985), Marlen (Souleïman) Assanov (né en 1977) et Timour Ibragimov (né en 1985), ainsi que deux militants civiques : Memet Belialov (né en 1989) et Server Zekiraev (né en 1973). Même s’il était déjà évident que la Russie tentait de réduire au silence le mouvement de défense des droits humains en Crimée occupée, c’est l’arrestation, le 21 mai 2018, de Server Moustafaev (né en 1986), coordinateur de « Solidarité Crimée » et journaliste civique, et d’Edem Smaïlov (né en 1968), qui a suscité les plus vives réactions de condamnation au niveau international.
Ces hommes n’ont été accusés d’aucun crime, mais simplement de liens présumés avec le « Hizb ut-Tahrir », une organisation musulmane transnationale et pacifique, légale en Ukraine et qui n’est pas connue pour avoir commis des actes de terrorisme où que ce soit dans le monde. Sur la base d’un arrêt de la Cour suprême de la fédération de Russie de février 2003, entaché d’irrégularités et entouré d’un secret suspect, qui avait qualifié « Hizb ut-Tahrir » d’organisation terroriste, les tribunaux russes ont prononcé des peines allant jusqu’à 24 ans de prison à l’encontre de ces personnes parfaitement respectueuses de la loi.
Alors que dans un premier temps, seul Marlen Assanov avait été inculpé du rôle « d’organisateur », une circonstance aggravante en vertu de l’article 205.5 § 1 du Code pénal russe, en février 2019, la même accusation a été portée contre Memet Belialov et Timour Ibragimov. En revanche, Seïran Saliev, Ernes Ametov, Server Moustafaev, Edem Smaïlov et Server Zekiraev ont été inculpés de « participation à une organisation présumée terroriste » (article 205.5 § 2). De plus, tous les huit ont été également inculpés de l’accusation surréaliste d’avoir « planifié une prise du pouvoir par la force » (article 278).
Il n’existe aucune preuve factuelle de liens avec le « Hizb ut-Tahrir », et encore moins de tentatives « d’organisation d’un groupe ». Les accusations reposaient sur des conversations enregistrées illégalement dans une mosquée, au cours desquelles le « Hizb ut-Tahrir » n’a pas été mentionné une seule fois. Comme d’habitude, le FSB a envoyé une transcription de ces enregistrements à des « experts » loyaux, toujours prêts à fournir les « preuves » requises. Aucun de ces trois « experts » (Ioulia Fomina, Elena Khazimoulina et Timour Zakhirovitch Ourazoumetov) ne possédait les compétences nécessaires pour réaliser l’expertise en question. L’insuffisance des deux « linguistes » Fomina et Khazimoulina a été expliquée dans un rapport détaillé de la linguiste légiste Elena Novozhilova, qui en a également témoigné devant le tribunal.
Ces « preuves » suspectes ont été étayées par le témoignage encore plus douteux de deux témoins « secrets » ou anonymes. C’est essentiellement sur ce type de témoignages que la justice russe fonde ses procès politiques contre les Tatars de Crimée et d’autres citoyens ukrainiens, ce qui a été vivement critiqué dans un rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la situation des droits humains « dans la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol » publié en 2021, et a également été considéré par la CEDH comme une violation du droit des accusés à un procès équitable en 2020.
Bien que le procureur ait été invariablement soutenu par le tribunal de Rostov pour maintenir le secret et bloquer toute question qui remettrait en cause la valeur des « témoignages » de ces deux personnes, leur identité est, en réalité, connue. Il s’agit de Narzoulaev Salakhoudin, citoyen ouzbek vivant en Crimée occupée sans permis de séjour régulier, et de Konstantin Toumarevitch, fugitif recherché par la justice dans sa Lettonie natale. C’est sans doute pour régulariser leur situation ou pour éviter une expulsion du pays que les deux hommes ont accepté de « témoigner » anonymement contre plusieurs prisonniers politiques tatars de Crimée originaires de Bakhtchissaraï.
Toutes les lacunes de l’affaire mentionnées ci-dessus, ainsi que la violation par la Russie du droit international dans l’application de sa législation sur un territoire occupé, ont été systématiquement ignorées par le procureur Evgueni Kolpikov, le président du tribunal militaire du district sud de Rostov Rizvan Zoubaïrov, ainsi que les deux juges, Roman Saprounov et Maxim Nikitine.
Le 16 septembre 2020, Zoubaïrov, Saprounov et Nikitine ont prononcé de lourdes peines à l’encontre des sept accusés. Marlen Assanov a été condamné à 19 ans de prison dans une colonie pénitentiaire à sécurité maximale, Memet Belialov à 18 ans, Timour Ibragimov à 17 ans, Seïran Saliev à 16 ans, Server Moustafaev à 14 ans, Edem Smaïlov et Server Zekiraev à 13 ans.
En appel, la peine de Saliev a été réduite à 15 ans. Cette même cour a toutefois confirmé l’appel interjeté par le procureur contre le seul acquittement à ce jour d’un prisonnier politique ukrainien. Puis Ernes Ametov a été condamné à une peine d’emprisonnement de 11 ans, très certainement en représailles à son refus de faire de faux témoignages contre d’autres personnes.
Par la suite, ces conversations enregistrées dans la mosquée et les déclarations des « experts » et des « témoins secrets » ont également été utilisées par la Russie pour condamner Oleh Fedorov et Ernest Ibragimov à 13 ans de prison.
Tous ont été reconnus comme prisonniers politiques et leur libération a été demandée, entre autres, par l’Union européenne, le Département d’État américain, Human Rights Watch (HRW) et Frontline Defenders. Dans un communiqué publié après le prononcé du verdict en septembre 2020, HRW note que ces condamnations « démontrent une fois de plus que les autorités russes sont déterminées à punir les Tatars de Crimée engagés politiquement en affectant également leurs familles, et qu’elles sont prêtes à violer et à déformer la loi pour atteindre leur objectif ».