Lutte contre la déportation illégale et le transfert forcé d’enfants ukrainiens: retour et justice

Représentant une large communauté d’organisations non gouvernementales et d’initiatives signataires du Mémorandum des ONG d’Ukraine « Lignes directrices communes concernant la responsabilité pour les crimes internationaux commis en Ukraine », nous sommes parvenus à un accord commun sur les points suivants.
19 Octobre 2023UA DE EN ES FR IT RU

Ілюстративне зображення/ЦНС [депортація українських дітей]

Image d’illustration / CNS

Entre février 2022 et août 2023, des milliers d’enfants ukrainiens ont été victimes de déportation illégale ou de déplacement forcé par la Fédération de Russie. Parmi eux figurent des orphelins et des enfants privés de soins parentaux, des enfants handicapés, des enfants séparés de leurs représentants légaux, ainsi que des enfants ayant perdu leurs parents du fait du conflit armé. Sous le prétexte d’une prétendue évacuation, de vacances ou de soins médicaux, ils ont été emmenés dans au moins 57 régions de la fédération de Russie, dans 19 desquelles 380 enfants ont été transférés de force vers des familles russes. Des enfants ukrainiens ont également été emmenés sur le territoire du Bélarus dans le cadre de la politique commune de l’Union liant ces deux pays, dans la péninsule de Crimée occupée et en Ossétie du Sud, une région occupée de la Géorgie.

Les déportations illégales d’enfants depuis l’Ukraine ont commencé après l’occupation de la péninsule de Crimée et l’établissement d’un contrôle effectif sur les groupes armés organisés dans le Donbass. Il n’existe aucune information sur les victimes de déplacements et d’adoptions illégaux en raison de la violation par la fédération de Russie à la fois de son obligation de fournir des informations sur leur localisation et les modifications illégales de leur statut juridique, et de faciliter le rapatriement de ces enfants.

À la date de début septembre 2023, les efforts conjoints d’ONG ukrainiennes, des autorités et de médias indépendants ont permis le retour de 386 enfants des territoires contrôlés par la fédération de Russie. Cependant, le développement et la mise en œuvre d’un mécanisme unifié de retour sont nécessaires du fait de l’efficacité limitée et la durée prolongée des programmes de rapatriement existants, de l’abus par les agents russes de la vulnérabilité des enfants et de leurs représentants légaux, du refus de la fédération de Russie de renvoyer les enfants orphelins et les enfants privés de soins parentaux, et du risque que les enfants deviennent victimes d’autres crimes internationaux.

En accord avec les conclusions des experts du mécanisme de Moscou de l’OSCE et de la Commission internationale indépendante d’enquête sur les violations en Ukraine, nous insistons sur le fait que les déportations illégales et les déplacements forcés ne sont pas conformes au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et s’accompagnent de nombreuses violations à la fois de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et de son Protocole additionnel (I), qui traite de la protection des victimes des conflits armés internationaux, et de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, à savoir le droit de conserver son identité, notamment sa citoyenneté, le droit à l’éducation, la protection contre les traitements inhumains, la liberté d’expression, le droit à un nom, le droit à la famille et au regroupement familial, le droit d’utiliser sa propre culture, la non-discrimination.

Selon nous, certains agissements de la fédération de Russie dans le cadre de la mise en œuvre de la politique de russification et de militarisation des enfants ukrainiens présentent des signes de crimes de guerre (déportation illégale et déplacement forcé, retard injustifié dans le rapatriement, propagande en faveur de l’engagement volontaire dans les forces armées d’un État adverse), de crimes contre l’humanité (déportation et déplacement forcé, persécution discriminatoire) et de génocide (transfert forcé d’enfants ukrainiens vers le groupe national russe).

Les agissements de la fédération de Russie visant à la déportation illégale, au déplacement forcé, à la russification et au refus de rapatrier les enfants ont été condamnés à plusieurs reprises par la communauté internationale. Le 27 avril 2023, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans sa résolution 2495 (2023), les a reconnus comme présentant des signes de génocide à l’encontre de la nation ukrainienne. La veille, le 17 mars 2023, la Chambre préliminaire II de la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine et la commissaire russe aux droits de l’enfant Maria Lvova-Belova, dans le cadre de la déportation illégale d’enfants des territoires occupés de l’Ukraine vers la Russie.

Compte tenu de la vulnérabilité des enfants en tant que victimes du conflit armé et de l’ampleur des actes illégaux commis par la fédération de Russie en relation avec leur déportation illégale, leur déplacement forcé et le retard injustifié dans leur rapatriement, il nous paraît indispensable de renforcer les efforts visant à soutenir les décisions suivantes :

  1. Par une pression diplomatique conjointe des représentants de la communauté internationale, obliger la fédération de Russie à remplir ses obligations conformément à l’article 78 du protocole additionnel (I) aux conventions de Genève et à fournir sans délai des listes exhaustives des noms et des lieux où se trouvent tous les enfants ukrainiens déportés illégalement vers la fédération de Russie ou transférés de force vers les territoires se trouvant sous son contrôle effectif, en indiquant le statut juridique de chaque enfant, notamment les cas d’adoption ou de tutelle, et les modifications des données personnelles.
  2. Adopter une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur les obligations internationales concernant le rapatriement des enfants ukrainiens, en établissant clairement les exigences pour la Russie, l’Ukraine et les États parties aux quatre Conventions de Genève en vertu de l’article 1 qui leur est commun.
  3. Créer, sur la base de la résolution adoptée (voir point 2), un mécanisme juridique unique et transparent pour le retour des enfants ukrainiens, en désignant une tierce partie et en signant une série de traités internationaux contraignants entre l’Ukraine et la fédération de Russie où la tierce partie, qu’il s’agisse d’un État, d’un groupe d’États, d’une organisation internationale ou de toute autre entité acceptable par les parties, agirait à la fois comme intermédiaire et comme garant de la mise en œuvre des accords.
  4. Garantir une approche individuelle dans les activités des mécanismes mis en œuvre pour le retour des enfants ukrainiens, en procédant dans chaque cas à une évaluation indépendante et impartiale de l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi qu’en garantissant des conditions de vie sûres, le développement et le bien-être de chaque mineur, tels que déterminés par la trajectoire de retour individualisée.
  5. Contribuer aux enquêtes, tant au niveau national qu’international, sur les crimes internationaux commis par des agents russes contre des enfants ukrainiens dans le cadre de leur déportation illégale et de leur déplacement forcé, en adoptant une approche centrée sur la victime, et coopérer pour unifier la mise en œuvre du principe de compétence universelle, en simplifiant et en clarifiant la procédure à suivre par les victimes pour s’adresser aux autorités compétentes.
  6. Garantir la préservation des preuves et le respect du droit à la vérité, notamment par le biais des activités de commissions internationales indépendantes, de missions de surveillance et d’autres mécanismes visant à établir et vérifier les faits relatifs aux déportations illégales, aux déplacements forcés, aux transferts forcés vers des familles russes, aux retards injustifiés dans le rapatriement et aux autres actes illégaux qui accompagnent les crimes internationaux susmentionnés commis à l’encontre des enfants ukrainiens.
  7. Faciliter la poursuite des auteurs de crimes internationaux, notamment en assurant l’exécution des décisions et la coopération avec la Cour pénale internationale.
  8. Veiller à ce que la fédération de Russie indemnise équitablement les enfants ukrainiens victimes de déportations illégales et de déplacements forcés, notamment en confisquant et en réaffectant les avoirs gelés des auteurs de ces actes.
  9. Unir les efforts des organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales compétentes et fournir d’urgence à l’Ukraine toute l’assistance nécessaire, notamment organisationnelle, informationnelle, juridique, logistique et financière, pour soutenir ses actions visant à l’identification, au retour, à la réhabilitation et à la réintégration des enfants ukrainiens.

La mise en œuvre de ces décisions, tant au niveau national qu’international, exige un renforcement mutuel, un plaidoyer efficace et de qualité, la consolidation du mouvement de défense des droits humains et la formation d’une dimension de valeur commune pour le retour des enfants ukrainiens, ainsi que la traduction en justice des auteurs de ces crimes. Cela garantirait le rétablissement d’un ordre juridique international, d’une paix, d’une sécurité et d’une justice durables.

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