La CEDH va examiner une plainte concernant Oleksiy Kisseliov, ancien commandant du navire ‹ Slavoutitch ›
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) va examiner un recours de l’Ukraine concernant Oleksiy Kisseliov, l’ancien commandant du navire ukrainien « Slavoutitch », kidnappé par les Russes.
C’est l’organisation de défense des droits humains « CriméeSOS » qui l’a annoncé le 14 septembre.
Les militants de cette organisation avaient déposé une plainte à ce propos auprès de la CEDH le 28 novembre 2022.
Comme l’a noté l'avocat Sergueï Zaïets, le cas d’Oleksiy Kisseliov est le premier des cas connus « démontrant la persécution par les autorités russes des habitants de Crimée ayant quitté le territoire occupé après 2014 et qui se sont auto-organisés pour résister activement aux occupants ». L’avocat a également noté que le cas de Kisseliov présentait tous les signes d’une disparition forcée.
Sergueï Zaïets a également énuméré un certain nombre de violations commises par les Russes à l’encontre d’Oleksiy. Il s’agit de torture, de privation illégale de liberté, de perquisition illégale et de vol de biens (voiture).
« Il est probable qu’à l'avenir, nous puissions également parler de la violation du droit à un procès équitable », estime le défenseur des droits humains.
L’affaire Oleksiy Kisseliov
Le Groupe de défense des droits humains de Kharkiv avait écrit un article sur le cas d’Oleksiy Kisseliov en février dernier. Alors, le tribunal illégal du district de Djankoï, en Crimée temporairement occupée, avait déclaré l’officier coupable d'avoir organisé un blocus naval et d’avoir appartenu au bataillon de volontaires des Tatars de Crimée « Noman Tchelebidjikhan ». Oleksiy a été condamné à huit ans et demi de prison, la première année devant être purgée en prison, et le reste de la peine dans une colonie à régime strict.
Le 22 juillet 2022, les Russes ont kidnappé Oleksiy Kisseliov, capitaine de 1er rang et ancien commandant du navire « Slavoutitch » de la marine ukrainienne. Une fois en retraite, Oleksiy s’était d'abord engagé dans des activités publiques et entrepreneuriales dans la ville de Sébastopol, mais après l’occupation illégale de la péninsule de Crimée par la fédération de Russie, il s’était installé dans la région de Kherson. Ces dernières années, il était engagé dans des activités bénévoles et vivait dans la ville de Henitchesk.
Oleksiy a déclaré avoir été longuement torturé par des représentants de la fédération de Russie qui lui ont administré des décharges électriques et l’ont frappé pendant des simulacres d’interrogatoires. La torture a commencé lorsque Kisseliov était détenu illégalement dans le lycée professionnel n°17 de la ville de Henitchesk, où était basée une unité de la Garde russe. Selon le prisonnier politique, les sévices ont duré cinq jours : ses bourreaux exigeaient d’Oleksiy qu’il avoue devant une caméra être le dirigeant d’un mouvement de résistance, mais l’officier refusait de faire un faux témoignage contre lui-même. Le 27 juillet 2022, l’Ukrainien kidnappé a été transporté dans le bâtiment du « département du FSB de Crimée » à Simferopol, où des agents des services spéciaux russes ont continué à le torturer. Ce n'est qu'après de nombreuses séances de torture que le prétendu enquêteur du FSB a procédé à une « arrestation officielle » et a ouvert une procédure pénale.
À la suite de ces tortures, l’officier ne pouvait plus se servir de sa main droite, et il lui était difficile de se servir de la gauche, même pour tenir un crayon pendant un moment. Le prisonnier politique a déclaré à plusieurs reprises qu’il avait besoin d’une assistance médicale. Dans une de ses lettres, il écrivait ainsi : « J’ai des côtes cassées, des articulations luxées au niveau des bras et des jambes et une dent cassée. Nous avons déposé une plainte auprès du service d'enquête militaire du district sud. Le contrôle n’a rien donné, et aucune mesure d'enquête n’a été menée concernant ma plainte pour torture ».
Rappelons qu'en vertu des Conventions de Genève, le fait de ne pas fournir d'assistance médicale aux citoyens ukrainiens détenus de manière injustifiée par la fédération de Russie équivaut à de la torture et constitue une violation du droit à la vie. Comme l’a noté le commissaire ukrainien aux droits humains, « l’absence de soins médicaux appropriés pour les citoyens ukrainiens illégalement détenus par la fédération de Russie est de nature systémique ».
Outre les traitements inhumains, les déclarations des prétendus « témoins » étaient douteuses, et Kisseliov lui-même a nié sa propre culpabilité. Les preuves fournies par la prétendue accusation étaient également discutables. Pour en savoir plus sur l'absurdité des accusations d’organisation d’un blocus naval, qui n'aurait tout simplement pas pu être mis en œuvre, voir l’article du Groupe de défense des droits humains de Kharkiv.
La Représentation du président ukrainien en République autonome de Crimée a également condamné ce verdict sans fondement, considérant que l’affaire était montée de toutes pièces et notant qu’outre le fait que l’officier détenu illégalement avait été torturé, il s’était également vu refuser des soins médicaux, ce qui l’avait contraint à entamer une grève de la faim.
Disparitions forcées et prisonniers invisibles du Kremlin
Comme l’a fait remarquer Yevhen Zakharov, directeur du Groupe de défense des droits humains de Kharkiv, lorsqu’on parle de civils détenus illégalement par les Russes, il faut évoquer la notion de crime de disparition forcée.
« Dans de nombreux cas, nous ne savons pas où se trouvent nos prisonniers civils, ni dans quelles conditions ils sont détenus », a souligné Yevhen Zakharov. Il a également noté que sur 200 cas que traite le Groupe de défense des droits humains de Kharkiv, pour seulement cinq de ces cas il existait des informations officielles permettant de savoir exactement où se trouvaient les prisonniers.
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« Dans 48 autres cas, nous avons appris de manière informelle où se trouvent les personnes privées de liberté », a déclaré Yevhen Zakharov.
Dans le même temps, les défenseurs des droits humains ont souligné à plusieurs reprises que la détention illégale sans décision de justice, ainsi que les disparitions forcées avec dissimulation du lieu où se trouve une personne, constituent des violations flagrantes des droits humains et peuvent être qualifiées à titre préliminaire de crime contre l'humanité.
La base de données compilée par l’initiative mondiale de défense des droits humains « Tribunal pour Poutine » (T4P) répertorie aujourd’hui environ cinq mille prisonniers civils illégalement détenus et portés disparus, mais le nombre réel pourrait être deux fois plus élevé. Dans les cas documentés par le GDHK, le nombre de disparitions forcées, la nature de leur planification et la répétition de scénarios identiques, peuvent témoigner de la grande ampleur des crimes contre l’humanité commis par des représentants de la fédération de Russie sur le territoire de l’Ukraine. De plus amples détails sur les disparitions forcées survenues dans les territoires temporairement occupés de l’Ukraine depuis le début de l’invasion à grande échelle et jusqu’à la fin mars 2023 peuvent être consultés dans un article récent du Groupe de défense des droits humains de Kharkiv, disponible ici.