60 000 Ukrainiens mobilisés de force pour participer à la guerre de la Russie contre l’Ukraine

Personne ne connaît le nombre de personnes mobilisées de force dans le Donbass occupé, et tuées en tant que « chair à canon » russe dans la guerre contre l' Ukraine.
Halya Koïnach19 Août 2023UA DE EN ES FR IT RU

“Мобілізація” на окупованому Донбасі. З відеоролика “Донбаські реалії” “Mobilization” in occupied Donbas. From the Donbas Realii video “Мобилизация” на оккупированном Донбассе. Из видеоролика “Донбасские реалии”

« Mobilisation » dans le Donbass occupé. Extrait d’une vidéo de « Donbaski Realii »

Fin juillet 2023, Andriy Cherniak, du renseignement militaire ukrainien, a indiqué dans une interview que 55 à 60000 hommes avaient été mobilisés de force dans les territoires ukrainiens occupés et envoyés au front pour participer à la guerre de la Russie contre l'Ukraine. Ces hommes ont été enlevés dans la rue ou dans les quelques usines qui fonctionnaient encore et envoyés au front sans aucune formation. Et cela malgré le fait qu'on leur avait assuré qu'ils seraient envoyés en deuxième ou troisième ligne de défense. Dans l’interview avec « Donbaski Realii », Cherniak a noté que ce nombre n'incluait probablement pas les Ukrainiens de la Crimée occupée qui ont été soit illégalement enrôlés, soit inclus dans la prétendue mobilisation partielle annoncée par le président russe Vladimir Poutine le 21 septembre 2022.

Dès le début de l’année 2022, des cas de mobilisation forcée ont été signalés dans les « Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk » contrôlées par la Russie (ci-après dénommées le Donbass occupé) : des hommes, y compris des étudiants, ont été arrêtés dans la rue, au travail ou à leur domicile. Dans une enquête récente, « Novini Donbassu » (Nouvelles du Donbass) a attiré l'attention sur l’absence certainement délibérée d'informations sur les pertes dans les territoires occupés et sur les divergences apparemment délibérées des données relatives à la limite d'âge supérieure pour la mobilisation forcée.

La « mobilisation partielle » en Russie était censée ne concerner que les militaires de réserve.  Il semble que ce soit un mensonge et que cela n'ait jamais été le cas dans le Donbass occupé, où tous les hommes en âge de combattre ont été envoyés. Dans les « républiques » fantoches de la Russie, les examens médicaux ont également été annulés et des hommes qui auraient dû être exemptés de la conscription pour des raisons médicales ont été mobilisés.

La Russie a pris le contrôle sur des territoires des régions de Donetsk et de Louhansk qui n’étaient pas occupés avant 2022, et elle y utilise très certainement des méthodes de coercition similaires. Hanna Maliar, la vice-ministre ukrainienne de la défense, a déclaré en mai que les Russes menaient des raids dans les territoires occupés et que les personnes qu'ils arrêtaient étaient envoyées dans les mêmes camps que ceux utilisés pour former les criminels condamnés et libérés des prisons russes pour aller combattre en Ukraine.

Selon « Novini Donbassu », à en juger par les groupes locaux sur les réseaux sociaux, il est presque impossible pour les hommes de se faire libérer du front, même s'ils ont plus de 50 ans. Dans ces groupes, il se dit que pour les hommes de cette catégorie d'âge, il n’existe que deux « chances » de rentrer chez eux : dans des housses mortuaires, ou s'ils peuvent prouver leur statut d'invalidité, ce qui est loin d'être facile.

Jusqu'à récemment, la limite supérieure pour la mobilisation en Russie était de 55 ans. Dans les « républiques » du Donbass créées et contrôlées par la Russie, elle était de 50 ans. Elle a maintenant été ramenée à 50 ans en Russie également, mais cette limite d'âge est restée en vigueur pendant de nombreux mois durant lesquels des hommes de plus de 50 ans ont été mobilisés de force dans les territoires qui, selon la version russe, avaient « rejoint la Russie » en septembre 2022. Les familles de ces soldats, même pas autorisés à obtenir des permissions, se sont adressées à Poutine ou aux « dirigeants » russes du Donbass occupé en insistant sur cette question, mais cela s'est avéré aussi vain que toutes les autres tentatives visant à les faire rentrer chez eux. Apparemment, l'exception n'a été faite que pour les étudiants qui ont pu voir leur demande de retour chez eux aboutir, comme le rapporte « Novini Donbassu ».

Il ressort clairement de ces appels des épouses à Poutine et autres qu'elles ne savent pas où ont été envoyés leurs maris, ni même s'ils sont encore en vie. Les « autorités » installées par la Russie dans le Donbass occupé ne fournissent aucune information sur le nombre d'hommes des soi-disant « républiques » morts lors des combats. Il n'y a pas non plus de données sur le nombre d'hommes revenus du front ni de ceux qui y sont encore.

Apparemment, la « République populaire de Donetsk » aurait effectivement publié des « données sur les pertes officielles »jusqu'au 22 décembre 2022, date à partir de laquelle tous ces rapports ont cessé. En fait, ces rapports ainsi que les estimations réalisées par « Mediazona » en collaboration avec le service russe de la BBC, qui font état d'au moins 11500 morts militaires, ne font probablement référence qu’aux personnes officiellement enregistrées comme « soldats » des « républiques » sous contrôle russe. Ils n'incluent presque certainement pas les personnes mobilisées de force. Depuis le début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie, il a été largement rapporté que la Russie utilisait des habitants du Donbass occupé comme « chair à canon », précisément parce qu'ils n'avaient pas besoin d'être inclus dans les statistiques officielles.

En mars 2023, il a été rapporté que la Russie intensifiait les mesures visant à mobiliser les jeunes Ukrainiens dans les territoires occupés, et ce dès l'âge de 18 ans. Les jeunes gens âgés de 16 ou 17 ans se sont vus interdire de quitter les territoires occupés. De fait, ils ont été contraints de signer des contrats avant d’être envoyés au front. Une tactique similaire avait également été utilisée en Russie en 2014-15 : de nombreux jeunes hommes étaient morts après avoir été envoyés en Ukraine.

Moscou utilisera très certainement ses fausses « élections » et les formes de coercition qui les accompagnent dans les territoires occupés pour forcer les Ukrainiens à adopter la citoyenneté russe, afin d'imposer des mesures similaires dans tous les territoires, y compris dans les régions de Kherson et de Zaporijjia, tombés sous son occupation.

Toute forme de conscription ou de mobilisation forcée constitue une violation du droit international. Depuis l'invasion et l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, des groupes de défense des droits humains surveillent ces violations et en transmettent les preuves à la Cour pénale internationale.

Le bureau du procureur général d'Ukraine considère comme un crime de guerre toute action visant à mobiliser des Ukrainiens pour les faire participer à la guerre de la Russie contre l'Ukraine, et il a déjà porté devant les tribunaux ou enquête actuellement sur des cas de participation à la conscription ou à la mobilisation forcée. Ces cas relèvent de l'article 438 du Code pénal ukrainien (violation des lois et des coutumes de la guerre).

Se pose aussi le problème de savoir ce qu'il faut faire des personnes mobilisées de force. Il a été clairement indiqué dès le départ que tout Ukrainien qui se rendrait serait considéré comme une victime de crimes de guerre russes. Cependant, se rendre en temps de guerre est loin d'être facile, car les Russes peuvent abattre la personne qui s'est rendue ou la capturer et la torturer si elle est prise. Ces derniers mois, la Russie a considérablement compliqué la procédure de conscription (ou de mobilisation), rendant ainsi difficile de s'y soustraire. À l'heure actuelle, cela concerne principalement la Crimée occupée, mais il est évident que ce danger menacera tout le territoire ukrainien jusqu'à ce que l'ennemi en soit chassé.

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