La Russie cache un étudiant de Kharkiv enlevé il y a 15 mois « pour s’être opposé » à son invasion de l’Ukraine

Personne n’a revu Mikita Chkriabine, étudiant en troisième année de droit, depuis qu’il a été capturé par l’armée russe dans la région de Kharkiv le 29 mars 2022.
Halya Koïnach08 Juillet 2023UA DE EN ES FR IT RU

Микита Шкрябін до викрадення Mykyta Shkriabin before his capture Mykyta Shkriabin antes de su captura Mikita Chkriabine avant son enlèvement Никита Шкрябин до похищения

Mikita Chkriabine avant son enlèvement

Mikita Chkriabine, étudiant en troisième année de droit, n’a pas été revu depuis qu’il a été capturé par des soldats russes dans la région de Kharkiv le 29 mars 2022. Tout ce que sa famille et son avocat savent, c’est qu’il est sans doute en vie, puisque la Russie a finalement admis, plusieurs mois après son enlèvement, qu’il était « détenu ».

Bien que Mikita soit retenu en captivité par la Russie depuis 15 mois, les Russes refusent de dire à son avocat ou à sa famille où il est détenu et pourquoi il n’a toujours pas été libéré. Sa mère ne sait même pas dans quel état se trouve son fils.

Récemment, Tetiana Chkriabina et Youri Barabach, pro-recteur de l’université de droit de Kharkiv où Nikita fait ses études, ont évoqué la situation à Hromadske Radio. Tetiana a expliqué que leur village de Vilkhivka, dans la région de Kharkiv, avait été occupé par les Russes dès le 26 février 2022. Il était impossible de sortir à cause des bombardements incessants, si bien qu’ils se réfugiaient la plupart du temps dans le sous-sol, sans même sortir dans la cour.

Mais le 29 mars 2022, son fils est sorti, avec l’intention de parcourir seulement un kilomètre. Elle ne l’a plus revu depuis : des témoins lui ont dit qu’il avait été arrêté et emmené par des militaires russes. Certains lui ont même dit l’avoir vu dans une voiture des Russes, battu et en sang. Nikita a été enlevé un jour ou deux avant que les envahisseurs ne soient contraints à battre en retraite.

La mère de Mikita a contacté l’université, qui s’est associée aux proches pour tenter de retrouver et de sauver son étudiant. Ils ont réussi à trouver en Russie un avocat n’ayant pas peur de prendre en charge cette affaire. Comme l’explique Youri Barabach, pour toute personne qui connaît le droit, la situation est incroyable. Lorsque la Russie a fini par admettre qu’elle retenait Mikita en captivité, elle a prétendu, de manière incompréhensible, que la raison en était des « actions d’opposition à l’opération militaire spéciale » (euphémisme pour désigner la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine). Et l’absurdité atteint son apogée, dit M. Barabach, « lorsque les fonctionnaires russes se mettent à raconter n’importe quoi et à prétendre que Mikita a été détenu pour avoir violé les lois en vigueur sur le territoire ukrainien ». À la question « Quelles lois ? », la réponse est : « Les lois russes ».

La Russie enlève et emprisonne des civils depuis le début de son invasion à grande échelle, ce qui constitue une violation flagrante du droit international. C’est sans doute la raison pour laquelle, très souvent, la Russie n’admet même pas qu’elle retient des civils en otage, ou évite de répondre. Dans ce cas précis, selon Barabach, les Russes ont été tellement mis dos au mur par l’avocat Leonid Soloviov qu’ils ont prétendu de manière absurde que Mikita était un « prisonnier de guerre ». Ils ont clairement tenté de tromper Tetiana en prétendant que son fils aurait été inscrit sur une « liste » en tant que militaire, alors que le jeune homme possédait une carte d’étudiant de l’université de droit de Kharkiv et qu’il portait des vêtements civils lorsqu’il a été arrêté. Comme il s’est rapidement avéré que cette liste n’existait pas, ils ont essayé de dire à Tetiana que son fils avait « commis une infraction ». Bien entendu, elle a demandé ce qu’il avait prétendument enfreint, mais elle n’a pas reçu d’autre réponse qu’une affirmation absurde disant qu’il aurait violé « les lois russes ».

Tatiana est très déçue que ni la Croix-Rouge ni le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, contactés en son nom par le Groupe de défense des droits humains de Kharkiv, n’aient pu obtenir quoi que ce soit. En vertu du droit international, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a le droit de visiter toute personne détenue par les parties à un conflit. Cependant, après 15 mois, non seulement il n’a pas vu Mikita, mais il n’a même pas été en mesure d’établir où il est détenu en Russie. Néanmoins, en mai 2022, le CICR avait au moins interrogé la Russie à son sujet, et il lui avait été répondu qu’il était « détenu sur le territoire russe ».

En décembre 2022, Pavel Tchikov, responsable du groupe international de défense des droits humains AGORA, a également commenté cette folie autour de la situation de Mikita Chkriabine, bien qu’il ait qualifié à tort ce dernier de soldat ukrainien. Tchikov a expliqué que c’était la première fois qu’un tribunal russe examinait un cas comme celui-là, en déclarant que « les Ukrainiens détenus en captivité se trouvent en dehors du champ juridique de la Russie ».

Dès août 2022, l’avocat de Chkriabine avait pu obtenir la confirmation que ce dernier avait été arrêté « en raison de son opposition à l’opération militaire spéciale ». Cependant, les responsables ont refusé de divulguer le lieu et les motifs procéduraux de sa détention, affirmant qu’il s’agissait « d’informations sensibles ». Soloviov s’est vu explicitement refuser toute visite à son client.

M. Tchikov a également ajouté que Mikita Chkriabine n’était pas considéré par le ministère russe de la Défense comme un prisonnier de guerre.

L’avocat Soloviov a même demandé au département militaire du comité d’enquête russe d’engager une procédure pénale contre les militaires russes pour avoir maintenu son client sans contact avec le monde extérieur pendant si longtemps. Comme d’habitude, le Comité d’enquête a rejeté cette demande.

C’est ensuite que la chose la plus incroyable s’est produite. Soloviov a porté plainte auprès du tribunal militaire de garnison qui, le 12 décembre 2022, « a établi » ce qui suit : Chkriabine a été détenu « pour actes illégaux ». Cependant, il n’a été inculpé d’aucune infraction pénale et ne fait l’objet d’aucune enquête. Par conséquent, il n’a aucun droit procédural, en particulier aucun droit à un avocat.

M. Tchikov fait remarquer que, selon diverses estimations, c’est plusieurs milliers d’Ukrainiens qui sont en captivité et que le sort de la plupart d’entre eux reste inconnu. Dans certains cas, la famille d’une personne apprend où elle se trouve, en particulier si elle est détenue en Crimée occupée, grâce aux efforts des avocats représentant les intérêts des prisonniers politiques ukrainiens, ou lorsque d’autres sont libérés dans le cadre d’un échange de prisonniers. Malheureusement, seul un prisonnier libéré a déclaré avoir été en compagnie de Mikita Chkriabine, et Tetiana n’a pas encore été en mesure de rencontrer cet homme et de déterminer s’il avait vraiment rencontré son fils en captivité.

En février 2023, certains prisonniers de guerre ukrainiens ont finalement été renvoyés en Ukraine dans le cadre d’un échange. Parmi eux se trouvait Maxim Kolesnikov, 45 ans. L’état dans lequel il se trouvait témoignait clairement de la façon dont les Russes traitent les prisonniers de guerre ukrainiens, ce qui rend très inquiétante sa déclaration, dans une interview, indiquant que la situation des otages civils était encore pire. Il a été détenu dans un centre de détention provisoire de la région de Briansk et a déclaré qu’il y avait dans ce centre plus de civils ukrainiens que de prisonniers de guerre. Au début, les prisonniers de guerre étaient maltraités, mais les choses ont changé lorsque les Russes ont découvert qu’ils figuraient sur la liste d’échange des prisonniers de guerre. Kolesnikov indique que leur statut est régi par le droit international, ce qui est vrai, mais cela préoccupe probablement moins Moscou que le fait qu’ils puissent être échangés contre des prisonniers de guerre russes.

En théorie, les civils ne doivent en aucun cas être arrêtés ni détenus, ils n’ont donc aucun statut et aucun moyen officiel de participer à l’échange de prisonniers. Kolesnikov a indiqué que les Russes eux-mêmes comprennent que la situation n’est pas normale, qu’ils ont simplement fait prisonniers des civils, « mais il leur est très difficile d’admettre que de ce fait, leur pays commet un crime. Ils essaient donc de prétendre que les otages civils ne sont pas vraiment des civils, qu’ils étaient des « espions », des « saboteurs », ou qu’ils aidaient les forces armées ukrainiennes pour aider à diriger les tirs sur certaines cibles, etc. »

Ou, comme dans le cas de Mikita Chkriabine, ils retiennent simplement un étudiant en droit en captivité et tentent de se débarrasser de sa famille et de son avocat avec des « explications » juridiquement insignifiantes pour justifier qu’un jeune civil a été capturé et que 15 mois plus tard il est toujours détenu dans un endroit non identifié de la fédération de Russie.

Article original sur le site du Groupe de défense des droits humains de Kharkiv

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