Pourquoi Poutine doit être tenu responsable de l'enlèvement d'enfants ukrainiens

La Russie viole les principes fondamentaux de la protection des enfants en temps de guerre. Les occupants ne prennent aucune mesure pour rendre les enfants ukrainiens à leurs familles, ils déportent les petits Ukrainiens vers leur propre territoire et les intègrent dans la société russe.
Aksana Filipichnina01 Avril 2023UA DE EN ES FR IT RU

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L'Ukraine subit depuis plus d'un an une agression armée de grande ampleur de la part de la fédération de Russie, et les enfants constituent l'une des catégories de personnes les plus vulnérables.

Par ses agissements, la Russie viole les principes fondamentaux de la protection des enfants en temps de guerre : déportation, délivrance de passeports russes, octroi de la citoyenneté russe, placement dans des familles d'accueil russes et adoption.

Ce n'est donc pas un hasard si c'est précisément en raison d'agissements liés à la déportation d'enfants que le mandat d'arrêt à l'encontre du président russe Poutine et de sa commissaire aux droits de l'enfant, Maria Lvova-Belova, a été délivré par la Cour pénale internationale.

Malheureusement, cette situation est compliquée par le fait que ni les organisations ukrainiennes ni les organisations internationales de défense des droits humains n'ont accès à l'ensemble des informations sur l'ampleur de ce crime.

Sous prétexte de « sauvetage », la Russie procède au déplacement forcé de familles ukrainiennes avec enfants, d'enfants dont les parents sont décédés ou introuvables, d'enfants élevés dans des institutions, ainsi que d'enfants dont les parents ont été interpellés lors des mesures de « filtration ».

Ces déplacements se font à la fois vers les territoires temporairement occupés d'Ukraine et vers la fédération de Russie. La Russie fait ensuite tout son possible pour intégrer ces enfants déplacés dans la société russe.

À l'heure actuelle, il n'est pas possible de déterminer le nombre exact d'enfants déportés. Toutefois, la plateforme ukrainienne « Les Enfants de la guerre » indique que fin mars 2023, les autorités ukrainiennes disposent d'informations concernant 16200 enfants déportés vers la fédération de Russie, parmi lesquels seuls 324 ont pu être ramenés en Ukraine. La partie russe elle-même revendique officiellement la déportation de plus de 300000 enfants depuis les territoires temporairement occupés de l'Ukraine[1].

Ce déplacement forcé d'enfants est de nature systémique.

Ces mesures drastiques s'inscrivent dans une volonté de l'État agresseur de détruire l'identité ukrainienne.

En mai 2022, le président russe Vladimir Poutine a signé un décret portant sur une procédure simplifiée d'octroi de la citoyenneté russe aux orphelins et aux enfants laissés sans soins parentaux originaires des territoires temporairement occupés et d'Ukraine. Le danger est qu'une fois qu'un enfant acquiert la citoyenneté, il peut être adopté. Et la législation russe permet aux parents adoptifs de modifier intégralement les informations concernant l'enfant, en lui donnant un nouveau nom, et en changeant sa date et même son lieu de naissance.

On connaît également quelques cas de placement d'enfants déplacés dans des familles d'accueil de citoyens russes.

Un des prétextes avancés par la Russie pour déplacer des groupes entiers d'enfants des territoires occupés est de leur prodiguer des soins dans des camps d'enfants et des sanatoriums. Ainsi, en août 2022, un groupe de près de 300 enfants d'Izioum, de Koupiansk, de Balaklia et d'autres zones de la région de Kharkiv a été emmené en Russie, dans le camp pour enfants « Michka » à Gelendjik, dans le territoire de Krasnodar, officiellement pour « reprendre des forces ». En septembre, après que le territoire de la région de Kharkiv a été désoccupé par les forces armées ukrainiennes, la Russie a refusé de restituer les enfants. Les parents ont dû aller les chercher eux-mêmes en Russie, supportant une charge financière importante en raison de formalités administratives urgentes, devant parcourir un long chemin à travers l'Ukraine, des pays européens et la Russie pour rejoindre leurs enfants et revenir avec eux en Ukraine. Le retour de ce groupe d'enfants se poursuit encore aujourd'hui, grâce à des bénévoles.

Tout cela se déroule sous l'égide de Maria Lvova-Belova, commissaire du président russe aux droits de l'enfant, qui se rend elle-même dans les territoires occupés. Des enfants ont été déportés dans 57 régions de Russie, dont Sakhaline, qui se trouve à des dizaines de milliers de kilomètres de leur pays d'origine.

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Entre-temps, le 26 octobre 2022, Maria Lvova-Belova a donné une conférence de presse au cours de laquelle elle a déclaré que 350 enfants de l'est de l'Ukraine avaient déjà été adoptés par des Russes et que plus d'un millier d'autres attendaient de l'être.

Les enfants ukrainiens, sans pouvoir donner leur avis, sont obligés d'aller dans des écoles russes, sont exposés à la propagande russe et vivent dans des familles russes, où l'on essaie d'éradiquer de leur esprit tout ce qui a trait à l'Ukraine.

Cette opération d'adoption d'enfants ukrainiens en Fédération de Russie constitue une violation flagrante de l'article 21 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et des articles 49 et 50 de la Convention de Genève pour la protection des personnes civiles en temps de guerre. En effet, l'adoption dans un autre pays ne peut être considérée comme un autre moyen d'assurer les soins nécessaires à l'enfant que si celui-ci ne peut, dans son pays d'origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé.

Lorsqu'un État procède à la réinstallation forcée ou à la déportation de personnes d'un territoire occupé, il est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter l'identification des enfants et l'enregistrement de leur filiation. Or la Russie ignore ces normes du droit humanitaire international. En outre, le transfert forcé d'enfants d'un groupe à un autre constitue un acte de génocide, en vertu de l'article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et de l'article 6 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Actuellement, il existe des difficultés de communication entre les autorités compétentes en ce qui concerne l'identification des enfants et leur retour en Ukraine.

La Fédération de Russie, loin de prendre des mesures pour rendre les enfants à leurs familles, les place au contraire délibérément chez des personnes qui leur sont étrangères et ne fournit aucune information sur les enfants et les lieux où ils se trouvent ni au Comité international de la Croix-Rouge, ni à l'UNICEF, ni au gouvernement ukrainien, ni aux organisations de défense des droits humains.

Il est urgent de trouver des mécanismes permettant le retour des enfants chez eux. L'un de ces mécanismes pourrait être l'intervention d'une puissance protectrice, comme le prévoit la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. Il s'agirait d'un État neutre auquel les pays belligérants font confiance. On peut par exemple supposer que la Turquie, le Kazakhstan, la Chine, les Émirats arabes unis, etc. pourraient se charger de cette mission.

Il s'agirait d'établir des procédures d'échange d'informations par l'intermédiaire de l'État protecteur et la mise en place de mécanismes pour le retour des différents groupes d'enfants, selon les circonstances : enfants devenus orphelins suite au décès de leurs parents, enfants déplacés dans le cadre d'institutions, enfants dont les parents ont été arrêtés, ou enfants déplacés sous un prétexte médical.


[1] Manifestement, cela inclut également les enfants qui sont partis avec leur famille — ndlr.

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