Aider les personnes et documenter les crimes de la Russie: retour sur le travail du groupe de Défense des Droits Humains de Kharkiv en 2022
En 2022, le travail des défenseurs des droits humains en Ukraine a radicalement changé.
La Russie a lancé une guerre d'agression de grande ampleur pour détruire l'État ukrainien et tous ceux qui le défendent et le soutiennent. Et elle a adopté pour cela la stratégie de la terre brûlée : à chaque fois qu'une ville a opposé une résistance aux attaques russes, elle a été dès le lendemain sous le feu de bombardements et de frappes aériennes, visant avant tout la population civile et des biens civils. Il s'agit notamment de Marioupol, Kharkiv, Akhtyrka, Mykolaïv, Kherson, Severodonetsk, Bakhmut, Izioum, Koupiansk et d'autres localités. Des dizaines de milliers de civils ont été tués et blessés, des dizaines de milliers de bâtiments ont été détruits et des millions de réfugiés sont apparus.
Les organisations de défense des droits humains se sont immédiatement mobilisées pour aider l'armée et les civils, tout comme la société civile ukrainienne dans son ensemble. Le bénévolat a atteint une ampleur sans précédent.
Mais les défenseurs des droits humains font face à des enjeux spécifiques qui leur sont propres. À peine une semaine après le début de la guerre, nous avons commencé à documenter les crimes commis afin de recueillir des informations pour enquêter et poursuivre en justice les donneurs d'ordres criminels et leurs exécutants. Les organisations prenant part à l'initiative « Tribunal pour Poutine » (T4P) se sont partagé l'ensemble du territoire du pays et collectent toutes selon le même schéma des informations dans leurs régions respectives, alimentant une base de données unique. Aujourd'hui, cette base de données contient plus de 30500 incidents constituant des crimes de guerre présumés. Ces statistiques, traduites dans sept langues, peuvent être consultées sur le site t4pua.org, que nous avons créé.
Cette base de données est compilée à partir d'informations obtenues de sources ouvertes et de contacts directs avec des victimes et des témoins. Les victimes reçoivent une assistance juridique, et les avocats du Groupe de Défense des Droits humains de Kharkiv (GDHK) ont déposé près de 1000 plaintes criminelles auprès des instances nationales d'application de la loi, des procédures pénales ont été ouvertes et les personnes touchées ont été reconnues victimes. 350 de ces procédures pénales sont liées à des décès et blessures massifs dus à des bombardements, attaques aériennes, mines et à l'utilisation d'armes à feu, à des détentions illégales et des enlèvements de civils, ainsi qu'à des actes de torture. Ces crimes font l'objet d'enquêtes prioritaires. Dans la région de Kharkiv, nous aidons en cela le département d'enquête du Service de Sécurité d'Ukraine (SBU). Des requêtes auprès des juridictions internationales sont en cours de préparation sur la base de ces cas.
Mais il est aussi très important d'informer sur ce qui se passe en Ukraine. J'ai déjà mentionné la création d'un site internet en 7 langues, beaucoup d'informations sont également publiées sur le site du GDHK khpg.org. Dès le mois de mars, nous avons commencé à interviewer des victimes et des témoins de crimes, alimentant ainsi la section « Les voix de la guerre ». Pour le moment, y sont publiées 120 interviews en ukrainien, 60 interviews en russe et en anglais. Et bientôt les voix de la guerre seront traduites en 9 langues !
Aussi importante que l'assistance juridique, une assistance psychologique est nécessaire pour un grand nombre de personnes ayant vécu un traumatisme. Le GDHK a ouvert un centre de soutien psychologique à Kharkiv, et depuis le début de cette année, des centres identiques ont ouvert à Kyiv et à Lviv. Nous avons l'intention de mettre en place un système où les personnes qui viennent nous voir peuvent recevoir tous les types d'assistance dont elles ont besoin : juridique, psychologique, caritative, humanitaire, médicale. Cela fonctionne déjà à Kharkiv : les bureaux des avocats et des psychologues sont mitoyens, et nous avons un accord avec des institutions médicales et le bureau d'examen médico-légal, pour rediriger ceux qui ont besoin de leur aide.
Dans ce contexte, nos déplacements réguliers en territoire désoccupé sont très importants pour recueillir des informations sur les crimes et apporter une assistance aux victimes. Depuis le mois de septembre, trois groupes d'employés du GDHK se déplacent presque quotidiennement dans la région de Kharkiv.
Nous avons l'intention de construire un modèle similaire dans les régions de Kyiv et de Lviv.
Le GDHK a cinq programmes d'assistance caritative et humanitaire à l'attention de différents groupes :
- Familles en situation sociale difficile (familles avec de nombreux enfants, familles dont des membres sont morts, blessés, ou malades, familles qui ont perdu tous leurs biens, familles devant être évacuées, etc.)
- Condamnés purgeant des peines de prison : il existait déjà, avant la guerre d'agression russe, des problèmes importants, qui n'ont fait qu'empirer avec la guerre.
- Participation au programme « Rendons le chauffage et la lumière à l'Ukraine ! »
- Familles dont un des membres a été tué ou blessé : une assistance sera fournie à 1000 familles (180 familles ont déjà reçu cette aide).
- Aide financière à 2000 familles de victimes civiles : la moitié de la dotation du prix Nobel de la Paix 2022 décernée à Memorial sera reversée au GDHK à cette fin, par décision du conseil d'administration de Memorial International.
Remarque : Le Groupe de Défense des Droits humains de Kharkiv est l'une des organisations de défense des droits humains les plus anciennes et les plus connues en Ukraine. L'organisation est engagée à la fois dans la défense juridique de cas individuels et spécifiques, et dans la promotion de la liberté et des droits humains au niveau de l'État. En mars 2022, dans le contexte de l'invasion agressive de l'Ukraine par la Russie, le Groupe de Défense des Droits humains de Kharkiv a cofondé, avec d'autres organisations, T4P, une initiative visant à collecter des données sur les crimes de guerre.