Établir la preuve du génocide. Réflexions et invitation à la discussion
La guerre qui dure depuis huit mois soulève chaque jour un peu plus la question du génocide actuel du peuple ukrainien. Le cours des événements, les décisions prises par la Russie, les agissements des troupes d'occupation, les frappes de missiles contre des civils et des infrastructures critiques sans qu'aucun objectif militaire ne soit visé, les violations arrogantes et totales du droit humanitaire international et des coutumes de guerre : tous ces éléments composent l'image d'agissements planifiés et acharnés dont l'objectif est le génocide. La rhétorique de la propagande russe, qui élabore des éléments de langage appelant directement à l'extermination des Ukrainiens, ajoute de l'huile sur le feu.
Il semble que l'objectif proclamé par les autorités russes, justifiant l'invasion de l'Ukraine par la protection apportée à des républiques non reconnues par quiconque, soit depuis longtemps battu en brèche, non seulement par le temps, mais surtout par le cours et le développement des événements. Les opérations militaires, les destructions et les meurtres de civils dans les régions de Kyiv, Tchernihiv, Soumy, Kharkiv, Zaporijjia, Kherson, Mykolaïv et dans d'autres régions d'Ukraine n'ont rien à voir avec une quelconque « protection ». Et même au prix d'un immense effort d'imagination, on ne peut rapprocher ces régions des territoires de Donetsk et de Luhansk.
Les nombreux assassinats, tortures, enlèvements et déportations d'Ukrainiens ne peuvent être justifiés par le seul désir de prendre le dessus sur le champ de bataille. On peut dire la même chose des frappes de missiles sur des villes non impliquées dans les affrontements militaires. Ces agissements sont purement terroristes car ils n'ont d'autre objectif que de terroriser et faire pression sur la population civile d'Ukraine.
Tous ces éléments figurent une intention tout à fait délibérée et consciente de la part des dirigeants russes, même si sur le terrain, elle ne semble pas toujours stratégiquement planifiée et peut paraître impulsive. Cela étant, c'est ce caractère systématique de ces agissements, leur répétition, leur dureté et leur audace qui démontrent leur unique objectif possible. À savoir le génocide.
Il est incontestable que la guerre, le déplacement d'un grand nombre de troupes, l'utilisation d'armes, l'implication d'autres pays (en particulier le Belarus) dans ces actions, la confrontation et l'affrontement avec la quasi-totalité du monde sont des actions conscientes et non aléatoires qui démontrent une réelle compréhension de la situation, de ses conséquences et des liens de causalité. Nous avons donc ici tous les signes d'une intention, dont l'existence ne fait aucun doute.
Nous estimons que le fait même du caractère systématique, de la répétition et du nombre toujours croissant de ces agissements associés à une augmentation du nombre de victimes et du degré de tension est un signe alarmant et très important.
La Cour pénale internationale (ci-après CPI), dont la compétence s'étend aux crimes les plus graves qui préoccupent l'ensemble de la communauté internationale, examine entre autres le crime de génocide.
Le Statut de Rome, en tant que document principal définissant non seulement la compétence, mais aussi les caractéristiques spécifiques des crimes poursuivis par la CPI, permet de conclure qu'il n'existe pas de critères clairs pour ces crimes. La technique juridique permettant de définir des crimes tels que le génocide n'est pas très explicite et, par conséquent, le libellé du Statut de Rome ne peut être considéré comme irréprochable et donnant une indication précise des caractéristiques de ces actes.
La caractéristique distinctive du génocide est l'intention des auteurs de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel, et les autres caractéristiques sont pour beaucoup les mêmes que celles d'autres crimes. Pour la qualification juridique des actes commis par l'État occupant sur le territoire de l'Ukraine, le point de départ est la détermination du cercle des personnes couvertes par la protection juridique du droit international humanitaire et du Statut de Rome. Nous pensons que, compte tenu des particularités ethniques et culturelles de l'Ukraine, il convient de dire que les victimes réelles et potentielles du génocide pendant cette guerre en cours sont les personnes qui s'identifient comme faisant partie du peuple/de la nation (nous utilisons ces deux mots comme synonymes pour les besoins de cet article) de l'Ukraine, État indépendant.
Dans le contexte de la guerre de la Russie contre l'Ukraine, la question de savoir qui est visé par l'intention de ceux qui recourent aux meurtres de masse, à la torture, à l'enlèvement et au viol (les victimes étant des combattants et des non-combattants) peut sembler rhétorique, mais elle nécessite des preuves.
S'appuyant sur la règle de la preuve de la culpabilité « au-delà de tout doute raisonnable », prouver l'existence d'un génocide doit consister à démontrer que toute autre explication des raisons, des motifs et de l'intention de commettre l'acte en question est exclue, et que c'est à cette fin précise que l'auteur a commis le crime allégué. Dans cette optique, nous pensons que l'un des indicateurs les plus importants de l'intention de commettre ce crime est l'activité criminelle systématique et planifiée de l'État occupant sur le territoire de l'Ukraine.
Dans cette optique, ce ne sont pas les actes individuels qui prennent une importance particulière, mais la nature systématique et méthodique des agissements de l'État occupant. Toute la chaîne de fonctionnement doit être prise en compte, à commencer par la propagande à l'intérieur de la Russie, le territoire concerné par l'invasion, les agissements des troupes d'occupation, les méthodes de guerre, l'utilisation d'armes interdites, la création de camps de filtration (dont l'objectif est précisément de séparer les personnes en fonction de leur identité nationale : les personnes pro-ukrainiennes ne passent pas la « filtration »), les enfants emmenés hors du territoire ukrainien, le « transfert » et l'acquisition non-volontaire de la citoyenneté russe et la tenue de « référendums » dans les territoires occupés. Tous ces agissements doivent être évalués dans leur intégralité, car ils indiquent qu'on est en présence d'actes délibérés visant à détruire, dans les territoires occupés et dans ceux où se déroulent les opérations militaires, l'ensemble de la population qui s'identifie comme appartenant au peuple ukrainien.
Cela étant, il serait insuffisant de s'appuyer uniquement sur les constructions nationales de cette formulation de l'existence de l'intention directe (l'auteur était conscient de l'illégalité de ses actions et de leurs conséquences et souhaitait leur survenance). Le modèle national ne permet pas d'appliquer ce critère de production de preuves « au-delà de tout doute raisonnable » car ce modèle s'arrête avant même que la destruction du groupe de personnes spécifiquement protégé ne se produise. Compte tenu des dispositions du droit pénal ukrainien, il est très difficile de prouver la présence de l'intention de commettre un génocide dans des épisodes distincts. Par conséquent, nous pensons que les crimes commis doivent être considérés et prouvés comme un ensemble d'épisodes systématiquement reliés par l'intention de commettre un génocide.
Il semble essentiel de se concentrer sur le groupe de personnes dont il doit être question. Le Statut de Rome stipule qu'un génocide peut être commis à l'encontre d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux. La population actuelle de l'Ukraine est très diversifiée, et on y trouve des personnes ayant des croyances religieuses différentes, parlant des langues différentes et appartenant à des groupes ethniques différents. Cette circonstance doit être prise en compte.
La plupart des gens parmi la population ukrainienne (une proportion importante d'entre eux) s'identifie à la nation ukrainienne en tant qu'unité politique et territoriale. Ce sont des personnes qui se considèrent Ukrainiens, citoyens de l'Ukraine, État indépendant. Ce sont eux qui composent la population de l'Ukraine et constituent sa nation. Et même si ces personnes, pour diverses raisons, ne manifestent pas toujours activement leur position pro-ukrainienne, elles constituent néanmoins l'intégrité nationale de l'Ukraine. Par conséquent, nous pensons que le génocide contre les Ukrainiens est lié à la volonté de détruire une partie importante du groupe national de ces personnes. Et c'est ce groupe qu'il faut prendre en compte pour établir l'existence d'éléments constitutifs du crime de génocide.