D'où vient la cruauté des Russes ?

Une psychologue travaillant en Ukraine cite trois raisons au sadisme systématique des militaires russes, elle explique aussi pourquoi la plupart du temps, les victimes ukrainiennes ne reçoivent pas les soins dont elles auraient besoin.
Denis Voloha16 Mai 2023UA DE EN ES FR IT RU

Олена Грибанова, психолог-супервайзер Харківської правозахисної групи Olena Gribanova, psychologue-superviseuse du Groupe de Défense des Droits humains de Kharkiv Елена Грибанова, психолог-супервайзер Харьковской правозащитной группы

Olena Gribanova, psychologue-superviseuse du Groupe de Défense des Droits humains de Kharkiv

« Aucun travail ne m'effraie, mais ce à quoi j'ai été confrontée en tant que superviseuse avec mes collègues ukrainiens me terrifie parfois, malgré mes vingt années d'expérience », déclare Olena Gribanova, psychologue de crise. Malgré sa grande expérience de travail dans le cadre de situations d'urgence, Elena ne peut parler sans affect de ce qu'elle voit en Ukraine.

« Ce que je vois ici, ce n'est pas uniquement de la violence, c'est une violence à la limite du sadisme. En tant que psychologue dotée d'un certain esprit d'analyse, je suis très intéressée par l'origine de ces démons : de quel type d'inconscient peuvent sortir les démons de la violence qui poussent une personne à agir de la sorte ? », commente Olena, qui avait vu les violences à grande échelle dont il avait été fait usage lors des manifestations massives dans son pays natal, le Belarus.

Qu'est-ce qui peut pousser les militaires russes à commettre des actes aussi cruels ? Olena Gribanova voit trois raisons principales au sadisme russe :

  1. La compensation d'un sentiment personnel d'infériorité.
  2. Un plein-pouvoir excessif et sans limites claires.
  3. L'impact de la propagande.

« Pour tout dire, ça se saurait si le chauvinisme russe avait disparu – ajoute Olena – comme si avant, les gens étaient normaux, allaient travailler, élevaient leurs enfants, se rendaient en Ukraine voir des amis, y étaient accueillis avec du pain et du sel, que tout le monde vivait bien, et puis soudain, ils seraient tous devenus fous et seraient venus en Ukraine pour tuer des civils. En 2019 déjà, j'étais allée à Saint-Pétersbourg, et en rentrant, j'avais dit à mes proches : « Vous savez, en Russie ça sent la guerre ». Personne ne m'avait crue, ils s'étaient tous dit que j'étais folle, que ce n'était pas possible. En fait, je le sentais déjà. On le sentait dans le fait qu'on pouvait souvent croiser des voitures portant des inscriptions « À Berlin ! », « Nous pouvons le refaire ! ». Cette propagande est omniprésente. Partout, on voit des slogans comme : « La Russie est en avance sur toute la planète », « La Russie est un grand pays ». Tout cela alimente artificiellement cette pseudo-grandeur, cette stupide fierté nationale ».

Reprenant les mots d'Arthur Schopenhauer, « la fierté la moins chère est la fierté nationale », Olena Gribanova établit un parallèle entre le représentant des forces de l'ordre qui tabasse des manifestants biélorusses et le militaire russe venu tuer des Ukrainiens : « C'est une personne pas particulièrement développée intellectuellement, qui vient généralement d'une zone rurale et qui n'avait pas d'autres perspectives : il n'a pas excellé à l'école, n'a eu aucune chance d'aller à l'université ou de vivre à Minsk ou dans d'autres grandes villes. Et puis on lui a donné un bâton et on lui a dit : « Va frapper les méchants, parce qu'ils causent des troubles ici, et tu seras heureux ». En Ukraine, en observant et analysant tous ces épisodes de sadisme à l'égard de personnes innocentes, j'ai compris que c'était le même processus ».

Alors qu'elle travaillait pour le service biélorusse des situations d'urgence, dont elle a été par la suite licenciée en raison d'un désaccord avec la direction, la psychologue s'était penchée sur la question de la foule et de son influence sur la conscience. Elle est convaincue que, comme en Union soviétique, « l'instinct grégaire » reste inhérent à la société russe contemporaine et fait que les Russes ferment les yeux sur les crimes de masse que commet leur armée en Ukraine et ailleurs.

« Les psychologues ont une expression : « Ne te mêle pas à la foule si tu n'es pas payé pour cela ». Cela signifie qu'il ne faut pas y aller si on ne veut pas perdre son individualité ».

« Si quelqu'un à qui on donne les pleins-pouvoirs ne détermine pas pour lui-même les limites de ces pouvoirs et n'est pas tenu pour responsable, il peut se transformer en violeur, en un animal dépourvu des structurations morales qui délimitent le bien et le mal. Je pense que c'est une question profonde sur laquelle de nombreux scientifiques et philosophes s'interrogent encore. Des philosophes, psychologues, psychiatres, etc. », résume Olena Gribanova.

Il faut toutefois porter une attention particulière, selon la psychologue, à la prise en charge des traumatismes des victimes des crimes de l'armée russe.

Le terme même de «victime», couramment utilisé dans l'espace post-soviétique, déplaît à Olena : elle préfère utiliser l'expression « personnes ayant surmonté » les conséquences traumatisantes d'un événement donné. « La victime pense toujours que rien ne dépend d'elle. La personne qui a pu surmonter un événement traumatique sait qu'il y a toujours quelque chose qu'elle peut faire ».

Ілюстрація: Марія Крикуненко / Харківська правозахисна група [психологія людина абстракція мозок думки психотерапія психаітрія мислення колективна травма війна] Illustration : Maria Krikounenko / Groupe de Défense des Droits humains de Kharkiv Иллюстрация: Мария Крикуненко / Харьковская правозащитная группа

Illustration : Maria Krikounenko / Groupe de Défense des Droits humains de Kharkiv

Olena Gribanova identifie deux raisons principales qui empêchent les Ukrainiens de lutter efficacement contre le traumatisme :

  1. Le grand nombre de personnes traumatisées. La guerre a touché tellement de personnes qu'il n'y a tout simplement pas assez de psychologues de crise qualifiés pour aider tout le monde dans un langage accessible. On pourrait même parler de « traumatisme collectif ». 
  2. L'absence d'aide systémique. Les Ukrainiens peuvent bénéficier de consultations ponctuelles, mais il existe peu d'endroits où ils peuvent obtenir une aide pour résoudre leur problème de manière globale. En principe, une personne a besoin d'au moins plusieurs séances avec un spécialiste pour commencer à esquisser les origines de ses problèmes.

« C'est le poisson, pas la canne à pêche » – dit Olena – Combien d'Ukrainiens sont partis en Pologne et combien sont revenus ? Même dans les zones sensibles. Pourquoi? Parce qu'ils sont allés là-bas, y sont restés un an, et ont connu des problèmes d'emploi, de chômage. Puis les aides sociales ont été interrompues. Alors comment vivre ? À mon avis, cela effraie les gens ».

En Ukraine, les victimes de crimes de guerre peuvent recevoir une assistance globale dans les locaux du Groupe de Défense des Droits humains de Kharkiv. Si vous ou quelqu'un que vous connaissez avez besoin d'une assistance humanitaire, psychologique ou juridique, vous pouvez contacter le GDHK en utilisant les contacts indiqués sur le site.

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