« Je suis coupable d’aimer l’Ukraine! »
Trois civils enlevés à Melitopol ont été condamnés à Rostov-sur-le-Don. Anton Joukovski et Dmitro Sergueïev et Yanina Akoulova étaient inculpés pour terrorisme, création d’une organisation terroriste, et fabrication et stockage d’explosifs et d’armes.
C’est « Memorial » qui a rapporté le verdict du tribunal militaire du district sud. Anton Joukovski et Dmitro Sergueïev ont été condamnés à 15 ans de colonie pénitentiaire à régime strict. Yanina Akoulova, quant à elle, a été condamnée à 9 ans de colonie pénitentiaire à régime général. En outre, tous trois ont été condamnés à des amendes : 800 000 roubles pour chacun des deux hommes, 700 000 roubles pour Yanina. Et cela pour un crime qui n’a pas fait une seule victime, car personne ne l’a jamais commis.
Comme l’indique un article du Centre pour le journalisme d’investigation, tous trois ont été enlevés par les occupants à Melitopol en octobre 2022. Quelques semaines plus tard, fin novembre, dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, ils « avouaient » qu’ils avaient eu l’intention de déclencher une explosion sur un marché local, mais aussi qu’ils auraient, le 18 septembre précédent, « fait exploser une voiture dans laquelle se trouvaient des citoyens russes : Mikhaïl Shchetinine et Sergueï Gorbounov » (tous deux occupaient des postes dans l’administration d’occupation de Melitopol). Cependant, par la suite durant le procès, cette « attaque terroriste de la voiture » n’a jamais été mentionnée.
Dans la vidéo rendue publique en novembre 2022, Yanina Akoulova porte un masque chirurgical. Les journalistes supposent que les Russes ont fait cela pour dissimuler les marques de coups sur son visage. Plus tard, c’est la date du 23 novembre qui apparaîtra dans l’affaire pénale comme le jour de l’arrestation de ces habitants de Melitopol, alors qu’en réalité ils se trouvaient dans des salles de torture russes depuis le 11 octobre, sans inculpation, sans que leurs familles ne soient informées du lieu où ils se trouvaient, et sans protection juridique.
Dans une interview accordée au media « Suspilne », la mère de Yanina Akoulova a déclaré que sa fille avait été battue : « Ils ont accepté de dire tout ce qui était exigé d’eux. Ils ont dit tous la même chose. Notre fille Yana m’a dit qu’ils l’avaient battue très violemment. Et puis... Bon, en captivité, qu’est-ce qui arrive en captivité ? Ils ne lui ont pas tapoté la tête. Elle m’a raconté : “J’ai été tellement battue que ça n’avait plus d’importance. J’ai signé tout ce qu’ils m’ont donné”. Elle dit que pendant deux mois, ses blessures ne cicatrisaient pas, et ce n’est qu’une fois que c’était un peu cicatrisé qu’ils l’ont envoyée à Moscou ».
L’enquête a « établi » qu’Anton Joukovski et Dmytro Sergueïev avaient trouvé une cache d’explosifs grâce à un renseignement fourni par « un employé non identifié des services de sécurité ukrainiens » (dont le surnom serait « Bratoukha »). Ils ont ensuite tenté d’apporter les composants de l’engin explosif au marché Riga de Melitopol, en les transportant dans la voiture de Yanina Akoulova (qui conduisait). Ils ont été arrêtés en chemin.
Joukovski et Sergueïev ont admis devant le tribunal qu’ils avaient réellement l’intention de provoquer une explosion, mais de nuit, lorsque le marché était vide, et pas de jour. Y. Akoulova, mère de deux enfants, ne savait rien du tout, elle a simplement transporté ses amis qui n’avaient pas pu appeler de taxi.
« La culpabilité de mon client n’est prouvée que par ses aveux, mais les seuls aveux ne peuvent servir de base à une condamnation », a souligné l’avocat de Dmytro Sergueïev lors du procès. L’accusé lui-même n’a pas reconnu sa culpabilité : « Je plaide non coupable, je ne suis pas un terroriste. Si vous n’aviez pas apporté la guerre dans mon pays, je n’aurais pas fait ce que j’ai fait », a-t-il déclaré.
« Nous ne sommes pas des terroristes. Nous sommes juste des citoyens qui aimons notre pays… Lorsque la guerre est arrivée chez nous, nos familles et nous en avons été victimes, comme des millions d’autres, et lorsqu’on nous a proposé d’aider notre État de cette manière, nous avons accepté sans hésiter, mais nous n’avons jamais eu l’intention de tuer, surtout des civils », a déclaré Anton Joukovski devant le tribunal. « Quant à Akoulova, je tiens à souligner une fois de plus que Sergueïev et moi avions initialement décidé de ne pas l’impliquer dans cette affaire et de ne pas lui faire part de nos projets. Elle ne pouvait pas être au courant de nos affaires, et le fait qu’elle se soit trouvée dans la voiture avec nous cette nuit-là était un hasard ».
« La Russie m’a séparée de mes enfants, je suis ici à Rostov, enfermée sans raison dans un centre de détention provisoire, juste pour avoir emmené les gars en voiture, et pour avoir écrit à « Bratoukha » qu’on n’avait plus de réseau. Bon, peut-être que je suis coupable de ça, d’aimer mon pays, l’Ukraine, qu’il en soit ainsi, je suis coupable. L’essentiel, c’est que je suis une patriote dans l’âme et que je le resterai jusqu’à la fin de mes jours. Cela, votre honneur, je ne le nierai pas, j’ai terminé », a déclaré Yanina dans sa dernière déclaration.
Cette semaine également, le tribunal militaire du district sud de Rostov-sur-le-Don a condamné deux autres citoyens ukrainiens : Volodymyr Krivtsoun et Vitali Rastorgouev, habitants de Berdiansk, ont été condamnés à 11 et 12 ans d’emprisonnement dans une colonie pénitentiaire à régime strict pour « préparation d’un acte de terrorisme international ». Ils étaient accusés d’avoir voulu faire exploser la voiture de fonction du « maire » de la ville nommé par les occupants, Oleksandr Saulenka. Ces deux habitants de Berdiansk ont été arrêtés le 13 juillet 2022. Plus tard, une nouvelle date d’arrestation est apparue dans les documents judiciaires : le 29 décembre 2022. Les deux hommes ont d’abord été détenus dans le bâtiment de la police municipale de Berdiansk, puis ils ont été emmenés en Crimée, dans le tristement célèbre centre de détention provisoire n°2 de Simferopol. En septembre 2023, les deux hommes ont été transférés à Rostov.
Plus de 8000 Ukrainiens, militaires et civils, sont toujours en captivité russe. Ce sont uniquement ceux dont la localisation a été confirmée. Dans le même temps, des dizaines de milliers de personnes, civils et prisonniers de guerre, sont portées disparues.
La Mission de l’OSCE a préparé un rapport sur les résultats de son enquête sur la détention illégale de civils ukrainiens par la Russie. « Dans l’écrasante majorité des cas de détention de civils par la fédération de Russie, il s’agit clairement de cas de privation arbitraire de liberté, ce qui constitue une violation du droit international humanitaire, du droit international relatif aux droits de l’Homme, ainsi que des engagements de l’OSCE » a déclaré Veronika Belikova, une des autrices du rapport, citée par Ukrinform. La pratique massive, généralisée et systématique des enlèvements de civils par la Russie dure depuis dix ans et concerne des milliers de personnes. En captivité russe, les prisonniers sont brutalement torturés et détenus dans des conditions assimilables à de la torture.
Rappelons que le Groupe de défense des droits humains de Kharkiv a lancé une ligne d’assistance téléphonique concernant les personnes portées disparues. Si vous êtes un proche ou si vous connaissez des prisonniers de guerre, des prisonniers civils, ou des civils portés disparus en territoire occupé, appelez le numéro gratuit 0 800 20 24 02.
Nous ne pouvons pas garantir que nous localiserons votre proche. Cependant, au fil des années de notre travail, nos spécialistes ont pu localiser plus de 30 % des personnes qui nous avaient été signalées.