La Russie a besoin de référendums fictifs sur les territoires occupés pour mobiliser de force des Ukrainiens comme chair à canon

La Russie a l'intention d'organiser des pseudo-référendums dans les territoires occupés des régions de Donetsk, Luhansk, Kherson et Zaporijjia, dans le but évident de les déclarer bientôt comme « faisant partie de la Fédération de Russie ».
Halia Koïnach25 Octobre 2022UA DE EN ES FR IT RU

“Мобілізація” в окупованому Донбасі. Скріншот із YouTube ’Mobilization’ in occupied Donbas. Screenshot from YouTube « Mobilisation » dans le Donbass occupé. Capture d’écran de YouTube “Мобилизация” в оккупированном Донбассе. Скриншот с YouTube

« Mobilisation » dans le Donbass occupé. Capture d’écran de YouTube

Le maire de Melitopol Ivan Fedorov a prédit que les Russes allaient bientôt commencer une « véritable traque » aux habitants dans les parties occupées des régions de Zaporijjia et de Kherson, et conseille à tous les résidents de Melitopol en âge d'être appelés de quitter immédiatement la région. Il prévient que ceux qui refusent d'aller à la mort auront affaire aux forces tchétchènes anti-retraite, et qu'il vaut donc mieux partir le plus tôt possible.

Si M. Fedorov faisait ici référence au décret de Vladimir Poutine sur la mobilisation « partielle », il s'agissait de la suite logique d'une autre décision inquiétante. La Russie s'apprête à organiser des pseudo-référendums dans les territoires occupés des régions de Donetsk, Luhansk, Kherson et Zaporijjia au cours du week-end, avec l'intention évidente de déclarer bientôt ces régions « parties de la Fédération de Russie ». Cette décision a été rejetée à juste titre par l'OSCE et tous les pays démocratiques comme n'ayant aucune valeur juridique, mais elle sera sans aucun doute utilisée par la Russie non seulement pour brandir des menaces « d'attaques sur le territoire russe », mais aussi comme prétexte pour capturer davantage d'Ukrainiens et les envoyer à la mort dans sa guerre d'agression contre l'Ukraine.

C'est ce que l'on rapporte déjà à propos de Marioupol et d'autres parties des régions de Donetsk et de Luhansk, occupées depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Piotr Andriouchenko, conseiller du maire de Marioupol, a déclaré le 17 septembre que deux jeunes hommes nés en 2003 et 2004 étaient morts à l'hôpital des suites de brûlures sur plus de 80 % de leur corps. « Ils ont été brûlés dans un char russe. Tous deux s'étaient retrouvés dans l'armée d'invasion après l'occupation en tant qu' « inspecteurs du feu », via une mobilisation secrète. Le conseil d'Andriouchenko est le même que celui du maire de Melitopol : « Soit vous continuez à nier la mobilisation secrète et à brûler dans les chars russes, soit vous pouvez entendre la voix de la raison et évacuer vers un endroit sûr. »

Mais il est peut-être déjà trop tard pour évacuer de Marioupol. Le 18 septembre, Andriouchenko a signalé qu'à Manhush, des hommes avaient commencé à être rassemblés en vue d'une mobilisation forcée. Il avait alors estimé que cela pourrait commencer à Marioupol début octobre, mais c'était avant les pseudo-référendums annoncés et la « mobilisation partielle » de Poutine.

Andriouchenko n'a aucun doute sur le fait que des prétendus référendums seront également organisés à Marioupol. Un certain nombre de signatures seront obtenues par la méthode russe la plus courante : si vous voulez que la ville soit reconstruite après les bombardements et pilonnages russes, signez le formulaire. Il prévoit toutefois que « la majeure partie du "référendum" aura lieu dans les bureaux de Russie Unie [le parti au pouvoir en Russie]. Le parti dispose de données électroniques complètes sur tous les habitants de Marioupol qui ont reçu une aide humanitaire au moins une fois, c'est-à-dire de pratiquement tous les habitants de cette ville que la Russie a systématiquement détruite pour tenter de s'en emparer. Avec cette base de données, il ne sera même pas nécessaire de faire semblant de faire le tour des immeubles résidentiels pour recueillir les signatures. Ils pourront tout faire et inscrire les chiffres qu'il leur faudra sans sortir des locaux de "Russie Unie". »

Le résultat truqué de ces pseudo-référendums est de toute façon d'ores et déjà connu : Andriouchenko écrit que le pourcentage de votes pour le rattachement à la Russie sera d'au moins 80%, mais ne dépassera pas 87%. « On ne sait pas pourquoi, mais c'est un fait ».

Dans les territoires qui sont de fait occupés par la Russie depuis 2014 (les prétendues « Républiques populaires de Donetsk et de Luhansk »), des hommes ont été contraints à aller combattre dès le début. Les problèmes de santé n'ont pas été pris en compte et ces hommes n'ont reçu aucune formation adéquate. La Russie les a utilisés comme chair à canon, sans enregistrer leur décès et sans verser d'indemnisation à leurs familles.

Le 14 juin, les épouses de plusieurs hommes de la prétendue « République Populaire de Donetsk » ont publié un appel affirmant que leurs maris n'étaient pas entrés en contact avec elles et qu'on n'avait aucune nouvelle d'eux depuis qu'ils avaient été « mobilisés », c'est-à-dire enlevés sur leurs lieux de travail le 24 février 2022. Depuis, leurs épouses ont tenté en vain de savoir où ils se trouvent, s'ils sont vivants ou non. Une de leurs représentantes a déclaré qu'environ 50 % des hommes étaient en mauvaise santé, mais qu'aucun examen médical n'avait été pratiqué. Ce n'est qu'au cours de la seconde quinzaine d'avril, deux mois après que les hommes ont été emmenés, que les « républiques » ont admis publiquement qu'elles avaient annulé les examens médicaux pour ceux qu'elles envisageaient de mobiliser, mais il semble évident qu'aucune attention n'a été accordée à la question de savoir si les hommes qui avaient été arrachés de force à leur lieu de travail et, dans certains cas, simplement saisis dans la rue, étaient aptes à aller au combat.

Le 13 août, Serhiy Gaïdaï, chef de l'administration régionale de Luhansk, a fait état de « nouvelles méthodes de mobilisation forcée », par exemple en incitant des personnes âgées vivant dans des immeubles à fournir des informations sur des hommes en âge d'être appelés, en échange de nourriture ou de petites rétributions monétaires. Des personnes étaient également en faction à l'entrée de ces immeubles et attrapaient les hommes ayant l'âge requis. Gaïdaï a noté que presque toutes les personnes impliquées dans cette mobilisation forcée portaient des cagoules lorsqu'elles se déplaçaient dans la ville, afin de ne pas être reconnues par les voisins ou les connaissances des personnes qu'elles traquaient.

Manifestement, la traque n'a pas permis de recruter suffisamment d'hommes pour le front, et le 21 août, Gaïdaï a rapporté que dans certaines petites villes de la région de Luhansk, des personnes s'étaient vu offrir 60 000 roubles pour révéler des informations sur la localisation d'hommes. Il a indiqué qu'il ne restait presque plus d'hommes, mais que la pseudo-république avait « un plan » à respecter concernant les quotas de mobilisation forcée.

« Les Russes eux-mêmes ne veulent pas aller au combat, alors ils continuent à recruter des hommes dans les territoires occupés et à les envoyer en enfer », écrit Gaïdaï.

Ce n'est que le 21 septembre, après l'annonce par Poutine d'une mobilisation partielle, que les Russes ont commencé à descendre dans la rue en grand nombre pour manifester. Le calcul du Kremlin était, semble-t-il, cynique mais exact.  Alors que les Ukrainiens des territoires occupés pouvaient être emmenés de force et que les hommes des républiques pauvres (et « non-européennes ») de la Fédération de Russie, ainsi que les prisonniers condamnés, pouvaient être attirés par des salaires de mercenaires, des voix de protestation se sont fait entendre, mais le pouvoir les a facilement réduites au silence par des intimidations et des détentions.

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