Le Bureau russe d’information sur les prisonniers de guerre est une imposture. Une réponse internationale s’impose

La Russie n’a pas créé de Bureau national d’information sur les prisonniers de guerre et les civils, qui serait tenu de transmettre des informations les concernant à l’Ukraine.
Oleh Gouchine, Mikhaïlo Savva 03 Décembre 2025UA FR RU

[fake]

Disons-le franchement : le régime russe a de facto paralysé la capacité de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à atteindre ses objectifs statutaires. Le mécanisme de Moscou fait toutefois exception : depuis le début de l’agression à grande échelle contre l’Ukraine, les rapports d’experts indépendants sur les questions clés de la « dimension humaine » demeurent un outil essentiel pour documenter les violations massives et systémiques, notamment des exigences vitales du droit international humanitaire.

Tout récemment, en septembre 2025, le Mécanisme de Moscou a publié son dernier rapport sur la situation des prisonniers de guerre ukrainiens en fédération de Russie et dans les territoires occupés [1]. Ce document décrit de manière globalement fidèle le problème des violations des droits des prisonniers de guerre ukrainiens. Mais il a surtout mis en lumière un problème majeur au niveau international.

La mission a constaté que la fédération de Russie refuse systématiquement d’accorder le statut de prisonnier de guerre aux combattants ukrainiens, les qualifiant de « personnes détenues pour s’être opposées à l’opération militaire spéciale ». Cette même désignation est souvent utilisée pour les civils ukrainiens détenus. Cela brouille la distinction entre prisonniers de guerre et détenus civils, qui relèvent de régimes juridiques différents en vertu du droit international humanitaire, et ouvre la voie à des poursuites pénales contre les prisonniers de guerre pour leur participation aux hostilités [2].

Dans le même temps, ce rapport des experts de l’OSCE publié en septembre comporte un point important qui nous oblige à réagir.

Dans les sections « Observations générales » et « Conclusions générales » du rapport, les experts concluent que « Le Bureau national d’information (BNI) russe manque de transparence, ce qui limite l’échange d’informations sur les prisonniers de guerre » [3].

Il va sans dire qu’il n’y a aucune transparence dans les activités des agences russes. Mais ce qui est important, c’est que cette conclusion des experts donne l’impression que la partie russe, conformément aux exigences de la Troisième Convention de Genève, a créé un bureau national d’information à part entière qui, même s’il n’est pas très efficace, fonctionne néanmoins.

Dans leur rapport, les experts notent qu’en février 2022, la fédération de Russie a créé un Bureau national d’information (Bureau d’information sur les prisonniers de guerre), qui n’a toutefois pas de site internet et sur lequel il est impossible de trouver la moindre information, à l’exception d’un numéro de téléphone.

La fédération de Russie a-t-elle donc réellement satisfait à l’une des exigences essentielles de la Troisième Convention de Genève en créant un Bureau national d’information (Bureau d’information sur les prisonniers de guerre), institution nationale essentielle chargée d’organiser l’enregistrement des personnes protégées par la Convention ?

À l’été 2024, après des consultations avec le Comité International de la Croix-Rouge, des défenseurs ukrainiens des droits humains ont déclaré qu’il n’existait en réalité aucun bureau national d’information en Russie, mais seulement une « ligne d’assistance téléphonique » du ministère de la Défense. L’un des auteurs de cet article a soulevé cette question lors d’une table ronde à Kyiv le 26 juin 2024 [4].

Plusieurs éléments permettent de conclure que le simulacre mis en place par le Kremlin ne respecte pas les exigences des Troisième et Quatrième Conventions de Genève et ne saurait se substituer à un bureau national d’information.

Premièrement, rien ne prouve que le ministère russe de la Défense ait été mandaté par le gouvernement pour créer un tel bureau d’information. Rappelons que, selon les Conventions, le BNI doit être national et non ministériel, et que la responsabilité de l’application des exigences des Conventions incombe à l’État et non à des agences ou fonctionnaires publics individuels (article 12 de la Convention).

Deuxièmement, cette structure russe d’imitation ne remplit pas les fonctions prévues à l’article 122 de la Troisième Convention de Genève et ne recueille pas les informations prévues par cet article sur toutes les personnes bénéficiant de la protection de la Convention. Par conséquent, elle ne transmet pas ces informations à l’Ukraine, en particulier elle ne rend pas compte de l’état de santé des blessés graves et des malades, ne fournit pas d’adresses pour l’envoi de courrier aux prisonniers et ne transfère pas leurs effets personnels de valeur.

Un autre aspect important du problème se pose. Ce simulacre de structure russe est placé sous la juridiction du ministère de la Défense et se nomme « Bureau d’information sur les prisonniers de guerre ». Elle n’a donc aucun rapport formel avec les civils ukrainiens privés de liberté par les occupants. Or, l’article 136 de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (Quatrième Convention) exige de chaque partie au conflit qu’elle établisse un bureau national d’information sur les civils. Ses fonctions sont identiques à celles d’un bureau pour les prisonniers de guerre.

À l’heure actuelle, la fédération de Russie prive illégalement de liberté plusieurs milliers de civils ukrainiens. Ces personnes sont détenues dans des centres de détention forcée dans des conditions difficiles, souvent au secret, sans décision judiciaire. Leur situation fait l’objet d’un rapport d’experts du Mécanisme de Moscou, rendu public en avril 2024 [5]. Or, la fédération de Russie ne dispose pas d’un bureau national d’information concernant les civils, et le « Bureau d’information pour les prisonniers de guerre » n’est pas habilité à remplir de telles fonctions.

Les rapports des experts du Mécanisme de Moscou sur la situation des civils et des prisonniers de guerre ont déjà été rendus publics. Étant donné qu’ils sont pris en compte et considérés dans les relations internationales et par les autorités judiciaires, il existe un risque réel que le régime russe instrumentalise les conclusions des experts pour justifier le vide informationnel dans lequel se trouvent les Ukrainiens privés de liberté.

Nous demandons aux États disposant de l’autorité compétente d’activer le Mécanisme de Moscou et d’entreprendre une étude approfondie sur l’absence de véritables bureaux nationaux d’information concernant les prisonniers de guerre et les prisonniers civils en fédération de Russie. Nous appelons également les institutions et mécanismes internationaux de défense des droits humains et de monitoring à se pencher sur cette question.


[1] Report on Possible Violations and Abuses of International Humanitarian and Human Rights Law, War Crimes and Crimes Against Humanity, Related to the Treatment of Ukrainian POWs by the Russian Federation (Rapport sur les violations et abus du droit international humanitaire et des droits humains, sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, liés au traitement des prisonniers de guerre ukrainiens par la Fédération de Russie)

[2] Texte original, en anglais : The Mission found that the Russian Federation systematically denies members of the Ukrainian armed forces hors de combat POWs status, designating them instead as “persons detained for countering the special military operation.” The same designation is used for detained Ukrainian civilians. This blurs the line between POWs and civilian detainees, subjected to different legal regimes under IHL, and opens the door for criminal prosecution of POWs for mere participation in hostilities

[3] Texte original, en anglais : The Russian National Information Bureau (NIB) is not fully transparent, limiting the exchange of information about POWs.

[4] “Безвісти зниклі: проблема пошуку та ідентифікації” . Найважливіше з дискусії. 02.07.2024/Центр громадянських свобод. (Personnes disparues sans laisser de traces : la question de la recherche et de l’identification. Points essentiels de la discussion. 02.07.2024. Centre pour les libertés civiles).

[5] Доклад о нарушениях и злоупотреблениях международного гуманитарного права и права прав человека, военных преступлениях и преступлениях против человечности, связанных с произвольным лишением свободы украинских гражданских лиц со стороны Российской Федерации. 25.04.2024. (Rapport sur les violations et abus du droit international humanitaire et des droits humains, sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité liés à la privation arbitraire de liberté de civils ukrainiens par la fédération de Russie. 25 avril 2024)

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