Torture d’Ukrainiens dans les territoires temporairement occupés et dans les centres de détention russes

Discours prononcé le 9 octobre lors de la conférence annuelle de l’OSCE sur la dimension humaine.
Yevhen Zakharov 18 Octobre 2025UA EN ES FR RU

Ілюстративне зображення, © ХПГ Иллюстративное изображение, © ХПГ

L’objectif de la Russie était d’éliminer tous les Ukrainiens politiquement conscients dans les territoires occupés, d’intimider le reste de la population et de les contraindre à partir pour la Russie ou dans les régions d’Ukraine où les habitants étaient « loyaux » au régime russe. Les services russes de contre-espionnage avaient divisé [1] les Ukrainiens en quatre groupes :

  1. individus devant être éliminés/détruits physiquement,
  2. individus devant être réprimés et intimidés,
  3. individus que l’on peut contraindre à coopérer,
  4. individus prêts à coopérer volontairement.

Les forces d’occupation ont particulièrement pris pour cible les anciens militaires ayant combattu entre 2014 et 2021 contre les forces d’occupation russes, les forces de l’ordre, les gardes-frontières, les secouristes, mais aussi les employés des administrations publiques et locales, les élus locaux, les personnalités publiques, les entrepreneurs, les journalistes et les prêtres. Les envahisseurs semblaient disposer de listes toutes prêtes de ces personnes. Elles ont soit été enlevées puis ont disparu sans laisser de traces, soit ont été illégalement détenues et maintenues dans des lieux de détention, généralement non officiels et souvent totalement inadaptés à la détention de personnes, ce qui peut être qualifié de torture en raison des conditions de détention. Les détenus ont été soumis à de graves tortures dans le but d’obtenir d’eux des informations utiles ou de les contraindre à coopérer. Après la libération de la région de Kharkiv à l’automne 2022, pas moins de 33 lieux de torture ont été découverts, notamment à Izioum, Koupiansk, Balaklia, Vovtchansk et dans d’autres localités. Les descriptions de certains de ces lieux de torture et des témoignages de victimes sont disponibles sur le site du GDHK.

Même dans les rares cas où des locaux aménagés étaient utilisés pour la détention, ils abritaient un nombre tellement important de prisonniers que la vie dans ces cellules était très difficile. À Koupiansk, par exemple, la salle de torture se trouvait dans un local de détention provisoire pouvant accueillir 140 personnes, mais plus de 500 prisonniers y étaient détenus. Neuf personnes s’entassaient dans une cellule prévue pour deux.

Selon les témoignages des détenus, les conditions de détention étaient inhumaines, les éléments suivants ont été notamment observés dans tous les lieux de torture :

  • surpopulation des cellules et des locaux ;
  • locaux non ventilés ;
  • absence de lumière naturelle ;
  • absence ou insuffisance de nourriture et d’eau potable ;
  • conditions d’accès aux toilettes inadaptées ou inexistantes ;
  • détention les yeux bandés et les poignets menottés ;
  • absence de soins médicaux adéquats ;
  • froid insupportable dans les locaux.

Au 1er octobre 2025, l’initiative T4P avait recensé 1030 cas de torture, dont 24 impliquant des enfants. 579 d’entre eux ont eu lieu dans la région de Kharkiv, 144 dans la région de Kyiv, 82 dans la région de Donetsk, 73 dans la région de Tchernihiv, 57 dans la région de Kherson, 32 dans la région de Mykolaïv, 27 dans la région de Zaporijjia, 18 dans la région de Soumy, 13 dans la région de Louhansk et 5 dans d’autres régions.

Ce chiffre colossal, 1030 cas de torture, n’est que la partie émergée de l’iceberg. D’après nos observations, presque toutes les personnes détenues par les Russes ont été soumises à la torture, quels que soient leur âge, leur sexe et leur état de santé.

Les avocats de GDHK traitent actuellement plus de 750 cas de torture et ils connaissent à présent parfaitement les méthodes employées par les occupants pour briser la volonté de leurs prisonniers. Nos avocats recherchent des témoins et mènent des enquêtes en collaboration avec les forces de l’ordre des régions de Kharkiv, Kyiv, Tchernihiv, Mykolaïv, Kherson et Soumy.

Le GDHK propose une aide juridique, médicale, psychologique et caritative aux victimes de torture, et soutient la réalisation d’expertises médico-légales. Les psychologues du GDHK préparent des mémoires d’amicus curiae à l’intention des autorités chargées des enquêtes et des tribunaux sur l’état psychologique des victimes de torture, conformément au protocole d’Istanbul.

Le GDHK a enquêté sur la situation de prisonniers de guerre libérés suite à des échanges. La principale méthode utilisée pour obtenir des informations dans le cadre de cette recherche a été la réalisation d’entretiens directs. Tous les anciens prisonniers interrogés, sans exception, ont évoqué les tortures constantes qu’ils avaient subies.

Nous avons synthétisé et analysé les informations obtenues lors de ces entretiens. Nous avons ainsi mis en évidence des faits concrets et des schémas spécifiques dans le traitement des prisonniers, qui permettent d’affirmer que l’approche de la Russie en matière de traitement des personnes détenues est planifiée, réfléchie et contrôlée dans le cadre d’une politique plus vaste.

Tous les Ukrainiens interrogés ont été détenus dans la colonie pénitentiaire n°10 en Mordovie (Fédération de Russie), et c’est précisément cette colonie qui, selon eux, s’est avérée être le pire lieu de détention. En mars 2025, elle comptait 434 prisonniers de guerre. Auparavant, il y en avait plus de 500.

Les formes de torture étaient similaires dans de nombreux centres de détention géographiquement éloignés, ce qui confirme le caractère systématique et délibéré du recours à la torture. Les témoignages de victimes, tant civils que de prisonniers de guerre, font état de plusieurs formes de torture largement répandues :

  1. Coups de poing portés au visage, à la tête et au corps (parfois avec des gants spéciaux), coups de pied et coups portés avec d’autres objets (crosses de fusils, matraques en caoutchouc, battes en bois, ceintures, etc.).
  2. Coups intentionnels sur des blessures ouvertes subies lors d’une bagarre précédente, strangulation, ligotage.
  3. Bains d’eau.
  4. Menaces de torture, d’exécution ou de tir sur certaines parties du corps.
  5. Torture par électrocution à l’aide de tasers ou ou en connectant des fils sous tension aux doigts, aux oreilles, au nez et aux parties génitales des victimes.
  6. Brûlure de la peau avec un briquet, ainsi que des parties du corps des prisonniers brûlées avec des cigarettes.
  7. Découpe de morceaux de peau ou amputation d’une main comportant des tatouages pro-ukrainiens , gravure d’une croix gammée dans le dos à l’aide d’un couteau.
  8. Arrachage des narines et des lobes d’oreilles avec des pinces.
  9. Amputation d’une oreille au couteau.
  10. Suspension des détenus par le cou au plafond.
  11. Arrachage de dents.
  12. Obligation d’effectuer des exercices physiques intenses, tels que des pompes et des squats, entraînant la perte de connaissance chez de nombreux prisonniers.
  13. Torture due aux conditions de détention.
  14. Autres formes de torture (attaques de chiens, gaz, incendies volontaires, etc.).

Dans leurs témoignages, un nombre considérable de victimes soulignent la cruauté particulière de ces formes de torture. Les victimes étaient frappées si violemment qu’elles en perdaient connaissance. Les décharges électriques étaient si puissantes, a déclaré l’une des victimes, que « mon corps se tordait et de la mousse sortait de ma bouche ».[2]

L’analyse des cas de torture montre que ce crime était répandu, car pratiqué partout dans les territoires occupés, et systématique, car employant les mêmes méthodes. Ces caractéristiques sont nécessaires à la reconnaissance préliminaire de la torture comme crime contre l’humanité.

[1] https://static.rusi.org/359-SR-Ukraine-Preliminary-Lessons-Feb-July-2022-web-final.pdf

[2] http://t4pua.org/ru/1962

Partager l'article