Notre approche pour démontrer le crime de génocide commis par les forces armées russes

L'objectif de la guerre de la Fédération de Russie contre l'Ukraine est de détruire l'État ukrainien et ceux qui s'opposent à l'agresseur. Cette intention génocidaire a été mise en œuvre de différentes manières dans plusieurs régions. Cette publication est consacrée au génocide qui s'est déroulé dans la ville Marioupol.
Evgueni Zakharov, Tatiana Samoderjenkova11 Octobre 2022UA DE EN ES FR IT RU

Маріуполь, спустошений російськими загарбниками. Фото: Маріупольська міська рада Mariupol devastated by the Russian invaders. Photo: Mariupol City Council Marioupol dévastée par les envahisseurs russes, photo : Conseil local de Marioupol Мариуполь, опустошенный русскими захватчиками, фото: Мариупольский городской совет

Marioupol dévastée par les envahisseurs russes, photo : Conseil local de Marioupol

Nous considérerons comme cible du crime de génocide un groupe national : la partie du peuple ukrainien qui s'oppose à l’État agresseur. Sans aucun doute, le groupe ainsi défini est significatif à la fois quantitativement et qualitativement : il comprend toutes les élites ukrainiennes et la majeure partie de la population ukrainienne. Aujourd'hui, la majorité des Ukrainiens sont divisés entre ceux qui combattent les occupants et ceux qui aident les belligérants par tous les moyens.

L'élément déterminant du crime de génocide selon la Convention sur le génocide est l'intention directe de détruire les membres du groupe concerné.

De toute évidence, l'objectif de la Fédération de Russie dans la guerre contre l'Ukraine est de détruire l'État ukrainien et le groupe des Ukrainiens qui se considèrent comme citoyens de l'Ukraine et n'acceptent pas de se soumettre à l'État agresseur. Cet objectif constitue une intention génocidaire, mais il a été réalisé de différentes manières dans plusieurs régions d'Ukraine : les régions de Marioupol, Kyiv et Kharkiv. C'est pourquoi nous estimons qu'un examen distinct des actes de génocide dans chaque région, prenant en compte les spécificités de chacune, est nécessaire.

Cette publication est consacrée au génocide à Marioupol.

Le groupe protégé dans le contexte de la Convention est le groupe national constitué des citoyens ukrainiens vivant à Marioupol (environ 450 000 personnes). Selon nous, 4 des 5 éléments constitutifs du crime de génocide de l'article 2 de la Convention sur le génocide sont applicables au cas de Marioupol.

Meurtres de membres du groupe

La ville a été assiégée à partir du 26 février et, dès le premier jour de la guerre, elle a été constamment bombardée par l'artillerie et l'aviation, ceci causant la mort de milliers d'habitants.

Les forces armées russes ont bombardé de nombreux immeubles d'habitation, une maternité et un hôpital pédiatrique dans lequel se trouvaient des femmes enceintes et des nouveaux-nés, ainsi que le théâtre dramatique, une piscine, des dortoirs et une école d'art où les gens se protégeaient des bombardements.

Маріуполь. Розбомблений автомобіль біля уламків пологового будинку. Фото: Євген Малолєтка, Associated Press Mariupol. A car gutted outside the wreck of the Maternity Hospital. Photo: Evgeniy Maloletka, Associated Press Marioupol. Une voiture bombardée près des décombres de la maternité. Photo : Evgueni Maloletka, Associated Press Мариуполь. Разбомбленный автомобиль возле обломков роддома. Фото: Евгений Малолетка, Associated Press

Marioupol. Une voiture bombardée près des décombres de la maternité. Photo : Evgueni Maloletka, Associated Press

À ce jour, les informations provenant de diverses sources officielles ukrainiennes évaluent à 87 000[1] le nombre de civils tués à Marioupol. Le bilan total des meurtres commis ne sera pas connu tant qu'il n'y aura pas d'accès libre à la ville.

Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe

Les forces russes ont systématiquement et délibérément attaqué des immeubles d'habitation, des abris et des voies d'évacuation à Marioupol, causant la mort de civils. Lors des bombardements de Marioupol, un nombre important de personnes ont été gravement blessées, comme en ont témoigné les médecins qui sont restés dans la ville pendant toute la durée des actions militaires pour porter une assistance médicale aux blessés[2]. Même les médicaments manquaient. Beaucoup de gens sont morts faute de médicaments nécessaires pour soigner les blessures et pour le traitement de maladies chroniques[3].

Жінка біля Маріупольського пологового будинку після того, як Росія бомбила його 9 березня. Фото: Євген Малолєтка, Associated Press Woman outside Mariupol Maternity Hospital after Russia bombed it on 9 March. Photo: Evgeniy Maloletka, Associated Press Une femme devant la maternité de Marioupol après l’attentat à la bombe par la Russie, le 9 mars. Photo : Evgueni Maloletka, Associated Press Женщина у Мариупольского роддома после того, как Россия бомбила его 9 марта. Фото: Евгений Малолетка, Associated Press

Une femme devant la maternité de Marioupol après l’attentat à la bombe par la Russie, le 9 mars. Photo : Evgueni Maloletka, Associated Press

À partir du 26 février 2022, les habitants n'ont pas pu quitter la ville : en raison des frappes aériennes et des tirs d'artillerie constants sur les immeubles résidentiels, les gens ont été contraints de se réfugier dans des caves qui n'étaient pas adaptées pour cela. Il y faisait très froid, les gens n'avaient aucun accès à la nourriture, à l'eau ou à des médicaments, ils étaient constamment dans la peur, percevant leur situation comme un « enfer »[4].

Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle

La formulation de ce critère décrit assez précisément la situation à Marioupol depuis début mars 2022, lorsque les forces russes ont détruit les infrastructures essentielles de la ville : approvisionnement en eau, gaz, électricité, chauffage et communications. Par la suite, des installations médicales ont été délibérément détruites sous prétexte que des militaires ukrainiens s'y trouvaient. En outre, les corridors humanitaires et d'évacuation ont été fermés. Il était impossible de fournir la ville en eau, nourriture, médicaments et produits pour bébés.

Les habitants de Marioupol ont dû collecter de l'eau de pluie et de l'eau industrielle, la faire bouillir pour la boire, et préparer à manger en allumant des feux dans la rue.

L'encerclement total de Marioupol, le manque d'accès à la nourriture, à l'eau, aux médicaments, et la destruction des infrastructures essentielles de la ville ont entraîné une détérioration significative de la santé des habitants de Marioupol et, dans certains cas, leur décès. Les gens étaient dans le désespoir le plus complet.

Il convient également de noter que les forces armées russes contrôlaient l'espace aérien au-dessus de Marioupol, de sorte qu'il était impossible d'empêcher la destruction des immeubles résidentiels, des services publics, des institutions sociales et culturelles et des entreprises économiques de la ville. À la suite du bombardement systématique des zones résidentielles, les forces armées russes ont détruit en quelques semaines plus de 80 % des immeubles résidentiels[5], transformant Marioupol en un champ de ruines, la rendant inhabitable et rendant impossible une vie urbaine civilisée et normale dans un avenir proche[6].

Au moment de l'évacuation, les habitants de Marioupol ont été contraints de subir une procédure de filtration humiliante. Les habitants de Marioupol n'ayant pas passé la première étape de la filtration ont été placés en détention et envoyés dans des camps de filtration pendant 30 jours, où ils ont été détenus dans des conditions épouvantables, qui constituent en elles-mêmes de la torture. Ils se sont vu refuser l'accès aux nécessités les plus élémentaires, y compris les toilettes, et ont été constamment maltraités et battus. Ceux qui n'ont pas passé la deuxième étape de la filtration ont disparu sans laisser de trace.

Toutes ces actions, visant à créer des conditions terribles d'existence, d'emprisonnement et de disparition de ceux que les autorités d'occupation considéraient comme des ennemis de la Fédération de Russie, confirment l'applicabilité de ce critère de génocide.

Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe

Des informations provenant de sources russes et des témoignages d'habitants de la ville confirment les faits d'enfants emmenés à Donetsk et dans des villes de la Fédération de Russie.

Ainsi, des enfants ayant perdu leurs parents pendant les opérations militaires ont été emmenés dans des hôpitaux de Donetsk. Leurs proches ont dû les rechercher en s'adressant à toutes les instances de la prétendue RPD et auprès des bureaux humanitaires de la Fédération de Russie mis en place à Marioupol.

Le fait que des enfants de Marioupol aient été emmenés en vue d'une adoption ultérieure est confirmé par un décret du président de la Fédération de Russie du 30 mai sur l'acquisition simplifiée de la citoyenneté russe et son ordonnance sur la procédure simplifiée d'adoption des enfants arrivant en Russie en provenance d'Ukraine. Comme l'a déclaré début juin l'ex-commissaire aux droits de l'homme Liudmila Denissova, 2 161 orphelins et enfants dont les parents ont été privés des droits parentaux ont été emmenés en Russie et placés dans des familles d'accueil russes.

La présente version est abrégée. La version complète se trouve en ukrainien ici et en anglais ici.


[1] Mariupol morgue: Russian military killed about 90 thousand people. Social Portal of Ukraine, 30/08/2022.

[2] Сергій Горобцов. Facebook, 10:03 18/04/2022; Три доби не виходив із лікарні: історія травматолога, який рятував поранених з Краматорська і Маріуполя. Вчасно, 18/08/2022.

[3] 27-річний лікар розповів, як рятував життя під обстрілами в Маріуполі. Zaxid.net, 28/04/2022.

[4] Récit de témoins : les photo-journalistes Serhyi Vaganov et Irina Gorbachov, de Donetsk. Ukraïnskaïa pravda, 22/03/2022.

[5] Marioupol est bombardée à 80-90%, dit l'adjoint au maire. Ukraïnskaïa pravda, 17/03/2022.

[6] Images satellite prises par Machar Technologies et diffusées par le Guardian : immeubles incendiés et un centre commercial détruit : photos satellite de Marioupol et vidéo prise d'un drone. Ukraïnskaïa pravda, 18/03/2022.

Partager l'article