Pour notre liberté et la vôtre !

Discours d'Oleksandra Matviitchouk lors de la conférence de presse consacrée au prix Nobel de la paix 2022
Oleksandra Matviitchouk13 Octobre 2022UA DE EN ES FR IT RU

Фото: Центр громадянських свобод Photo : Centre pour les libertés civiles Фото: Центр гражданских свобод

Photo : Centre pour les libertés civiles

Bonjour,

Je m'appelle Oleksandra Matviitchouk, je suis la directrice du Centre pour les libertés civiles.

Hier, le Centre pour les libertés civiles a reçu le prix Nobel de la paix.

On dit que c'est le peuple ukrainien qui devrait recevoir ce prix. Et je suis fière que ce soit exactement ce qui se passe. Le Centre pour les libertés civiles est une organisation dans laquelle les volontaires bénévoles jouent un rôle majeur.

Ce prix n'est pas seulement décerné à notre équipe et aux personnes qui ont travaillé avec nous toutes ces années. Le prix Nobel de la paix a été décerné à toutes les personnes en Ukraine qui luttent aujourd'hui pour la liberté dans tous les sens du terme.

Pour la liberté d'être un État libre et indépendant. Pour la liberté de développer la langue et la culture ukrainiennes. Pour la liberté d'exercer notre choix démocratique et de construire un pays dans lequel les droits de chaque personne sont protégés, où les autorités sont responsables, les tribunaux indépendants et où la police ne passe pas à tabac les participants aux manifestations étudiantes pacifiques.

Pendant la révolution de la Dignité, le Centre pour les libertés civiles a lancé l'initiative Euromaidan SOS, destinée à aider les manifestants persécutés à travers tout le pays, uniquement parce que plusieurs milliers de personnes nous avaient rejoints.

C'est justement grâce au soutien de la population que le Centre pour les libertés civiles a été le premier à envoyer des équipes mobiles pour documenter les crimes de guerre en Crimée et dans les régions de Donetsk et de Luhansk.

Des milliers de personnes dans le monde ont soutenu notre campagne internationale #SaveOlegSentsov et ont organisé des manifestations et autres actions collectives dans plus de 35 pays pour demander la libération du cinéaste Oleg Sentsov et d'autres prisonniers politiques.

Je ne souhaite à personne de connaître la guerre, mais cette période difficile nous permet à tous de montrer le meilleur de nous-mêmes, depuis le paysan qui a tiré un char russe avec son tracteur jusqu'au président du pays qui a refusé de quitter Kyiv. Aujourd'hui plus que jamais, nous sommes conscients de ce que signifie être humain.

La Russie doit être exclue du Conseil de sécurité de l'ONU pour violation systématique de la Charte. Pendant toutes ces dernières décennies, la Russie a commis des crimes de guerre en Tchétchénie, en Moldavie, en Géorgie, en Syrie, au Mali, en Libye et en Ukraine.

L'ONU et ses États membres doivent rendre justice à toutes les victimes de crimes de guerre et mettre en place un tribunal international pour traduire en justice Poutine, Loukachenko et tous les criminels de guerre.

L'Ukraine n'abandonne jamais son peuple, et c'est pourquoi nous luttons pour la libération totale des territoires occupés. Aujourd'hui, au Centre, nous nous battons pour la libération de toutes les personnes détenues par la Russie.

Parmi eux, le Tatar de Crimée Server Mustafayev, coordinateur de Crimean Solidarity. Victoria Obidina, médecin militaire qui a été séparée de sa fille de 4 ans lors de l'évacuation d'Azovtal. Liudmila Huseynova, qui a protégé des enfants orphelins pendant l'occupation et a été jetée en prison pour cela. Et des milliers d'autres militaires et civils ukrainiens.

Nous appelons la communauté internationale à devenir leur voix et à se joindre à nous pour demander leur libération, ainsi que celle de tous les prisonniers politiques qui ont combattu les régimes autoritaires en Russie et au Belarus.

Mes 20 années d'expérience dans la lutte pour la liberté et les droits humains montrent très clairement que les gens ont beaucoup plus d'influence qu'ils ne le pensent. C'est grâce à eux si nous avons faire tout ce que nous avons fait.

Et enfin, de l'importance d'appeler les choses par leur nom. La Russie, qui ne s'est pas débarrassée de ses complexes impériaux, est une menace pour l'Ukraine et pour le monde entier. Tout comme le Belarus, parce que le régime de Loukachenko a livré son propre pays à l'occupation.

Alès Bialiatski, Valentin Stefanovitch, Marfa Rabkova de Viasna, Oleg Orlov, Svetlana Gannouchkina, Alexandre Tcherkassov, Sergueï Davidis de Memorial sont pour moi et pour le Centre pour les libertés civiles des personnes avec lesquelles nous luttons côte à côte contre cette menace depuis de nombreuses années.

Aujourd'hui, Alès Bialiatski est derrière les barreaux et Memorial est interdit.

Cette histoire parle de la résistance à un mal commun, du fait que la liberté n'a pas de frontières et que les valeurs des droits humains sont universelles. Il s'agit de défenseurs des droits humains qui tissent entre eux des liens horizontaux invisibles pour leurs sociétés, afin de promouvoir la liberté et de protéger les personnes dans notre partie du monde, où un ogre tente une nouvelle fois de dominer. Et tôt ou tard, il perdra. Alors, la paix viendra.

Ce prix ne doit en aucun cas être confondu avec le vieux discours sur les peuples frères. C'est autre chose que dit cette histoire : elle concerne un slogan que citait mon ancien professeur, le dissident et philosophe Yevhen Sverstiouk : « Pour notre liberté et la vôtre ! ».

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